Contrairement à ce qu’annonce le titre, Lincoln n’est pas un biopic en règle du seizième Président des Etats-Unis. Basé sur le livre « Team of Rivals » de Doris Kearns Goodwin, il ne retrace ni sa vie, ni son ascension au sommet, mais les quatre derniers mois de son mandat, lorsque l’exercice de son pouvoir- en pleine Guerre de Sécession- ne se concentrait plus que l’accord de paix avec les Sudistes, l’abolition de l’esclavage et la ratification du treizième amendement de la Constitution des Etats-Unis. On est 1865, et le film retrace, sur près de 2h30, le combat historique mené par l’homme politique contre les représentants antiabolitionnistes et les mentalités racistes et étriquées de l’époque. Aux commandes, un Spielberg moins sirupeux qu’à l’accoutumée, qui confère une forme aussi austère que rigoureuse à sa reconstitution des évènements. Lincoln est un film sec, de la prestation irréprochable (quoique mimétique) de Daniel Day-Lewis (qui vient d’ailleurs tout juste de décrocher un troisième Oscar pour ce rôle), au crescendo politique mis en place, tout y apparaît froidement, le plus souvent dans les couloirs, chambres et dédales des lieux historiques et autres tribunaux, sans lyrisme aucun, sans désir de spectaculaire. Le résultat, forcément, oscille entre précision réjouissante et instants rébarbatifs. Il faudra d’ailleurs plus d’une heure au film pour réellement décoller et s’arracher au didactisme des pages du livre d’histoire qu’il semble avoir ouvert.
Spielberg commence à véritablement donner de la chair à sa figure figée lorsqu’il accepte de le traiter à hauteur d’homme. Lincoln-père, inquiet pour un fils qui désire partir à la guerre (Joseph Gordon-Levitt), Lincoln-endeuillé, à jamais hanté par le fantôme d’un enfant mort, Lincoln-époux, impuissant face aux violents et tourmentés états d’âme de sa femme (belle composition de Sally Field, choix de casting audacieux). Les séquences les plus intéressantes du film sont celles qui parviennent à s’approcher des émotions sans jamais les étreindre, à regarder en face le pathos sans jamais y succomber. Chose surprenante chez un Spielberg qui nous avait que trop habitués à de regrettables débordements lacrymaux. Ainsi, l’assassinat du Président se déroule-t-il hors champ ; une retenue adéquate au personnage ; et, le vote à la Chambre des représentants n’use pas des grosses ficelles habituelles (violons et autres supplices). Mieux : Spielberg trouve même matière à faire résonner le moment historique qu’il aborde avec les enjeux du monde contemporain. Impossible de ne pas penser aux mouvements néo féministes actuels lorsqu’un vieux politicard s’insurge contre le vote des femmes, à l’avenir obamien qui découle de la révolution abordée, aux combats actuels des homosexuels pour faire valoir leurs droits devant la loi. Finalement, Lincoln, en zappant étrangement la présence des Noirs dans un film qui ne parle que de leur combat pour la liberté, rend son propos (pour l’égalité des hommes, pour la libération générale) universel. Bizarre mais vrai.