Qu'ont en commun tous ces jolis récits bourgeois? La maison. La maison, c'est un motif irréductible du livre jeunesse, et pourtant en réalité les récits qui s'y déroulent entièrement sont plutôt rares. Car en général, la structure typique de l'histoire pour enfants, c'est la suivante:
Maison --> Dehors --> Maison
Que l'on peut décliner en d'autres termes; confort --> aventure --> confort, intérieur --> extérieur --> intérieur, etc. Mais cette structure est littérale dans 90% des récits pour la jeunesse, et figurative dans le reste. Harry Potter y est extraordinairement fidèle, par exemple, et le retour annuel à la maison pourtant atroce des Dursley est même justifié par un élément central de l'intrigue.
Pictures of Home, Colin Thompson
Symboliquement, même des histoires comme Les bijoux de la Castafiore ont cette structure. Car même si l'intrigue se déroule intégralement à Moulinsart, celui-ci n'a justement plus le statut de maison: le château n'est soudainement plus le confortable home qu'il est d'habitude. Il est constamment assiégé par des éléments extérieurs - les romanichels, la Castafiore, Séraphin Lampion et sa clique, et même le téléphone et la télévision; il devient dangereux (la marche cassée qui invalide le capitaine, la guêpe qui le pique); il semblerait qu'il y ait un intrus qui vient y voler des choses. La maison est symboliquement détruite.Il est donc question dans toute la BD de faire regagner à Moulinsart son statut de maison. La fin, avec le départ de tous ces intrus, la solution du vol, etc, salue le retour à la maison de Tintin et du capitaine, alors qu'ils ne l'avaient en fait jamais quittée physiquement - seulement symboliquement.
Le motif de la maison en littérature jeunesse est historiquement fortement 'genré' - les livres 'pour filles' et les livres 'pour garçons' n'ont la même conception de l'espace domestique et de cette structure maison --> dehors --> maison, parce qu'ils ne remplissent pas la même fonction.
Ce sont généralement des récits très bourgeois et la maison est amoureusement et minutieusement décrite, comme pour séduire la petite lectrice et lui inculquer un fort attachement pour les effets domestiques et leur valeur. Et ça a son petit effet, malheureusement, car même la plus endurcie des féministes aurait du mal à ne pas craquer sur cette délicate cage à oiseaux, ces tomettes artistiquement mal alignées, ce tapis rétro... Evidemment qu'on a envie de les nettoyer à fond, hein Martine?
Maurice Sendak, Max et les Maximonstres
Pendant ce temps, le parcours traditionnel du héros mâle, s'il s'encadre aussi de la maison de chaque côté de l'aventure, ne présente pas l'espace domestique de la même manière. C'est un endroit où l'on s'ennuie et qui est frustrant, où les parents (surtout la mère) règnent en despotes (Max et les Maximonstres); les événements extérieurs et intrusifs fascinent (L'île au trésor). Il y a un départ physique du home.Quand le garçon revient, ce n'est pas pour s'installer dans la maison et en faire son projet; c'est pour faire bénéficier les habitants de la maison de son expérience acquise à l'extérieur, comme un microcosme où se répercuteraient les changements sociopolitiques que le héros a occasionnés dehors. Percy Jackson, qui a en réalité deux maisons, 'fait le ménage' du pouvoir de l'adulte dans l'appartement de sa mère (qui pétrifie l'odieux beau-père) et revient en vainqueur au camp des demi-dieux, grâce à l'autorité quasi-divine qu'il a acquise. Là encore on a un héros qui grandit d'enfant à adulte, mais dont la maison est moins un point d'ancrage qu'un échantillon représentatif du monde qu'il a conquis.
Heureusement, ces jours-ci, les parcours héroïques par rapport à la maison dans la littérature jeunesse sont beaucoup plus 'dégenrés'; enfin, disons qu'il est devenu tout à fait acceptable pour des filles d'avoir des aventures extradomestiques comme les garçons, mais qu'il est beaucoup moins habituel de trouver des récits exclusivement intradomestiques avec des petits mecs. Comme d'hab', la fille est autre et peut se normaliser, mais le garçon est norme et on ne veut pas l'aliéner. Mais c'est un autre débat.
Bon, j'en ai encore écrit des tartines moi! Allez, on se voit vendredi pour parler de Nature.