Ceux de l’obscur
Pour que les mots ne suffisent pas, une mort dans le cœur est nécessaire.
La lumière du langage me couvre comme une musique, image mordue par les chiens de
la peine, et l’hiver grimpe sur moi l’amoureuse plante du mur.
Quand j’espère cesser d’espérer, survient ta chute au-dedans de moi. Je ne suis
rien qu’un dedans.
○
L’obscurité des eaux*
J’écoute le bruit de l’eau qui tombe dans mon sommeil. Les mots tombent comme l’eau
moi je tombe. Je dessine dans mes yeux la forme de mes yeux, je nage dans mes
eaux, je me dis mes silences. Toute la nuit j’attends que mon langage parvienne
à me configurer. Et je pense au vent qui vient à moi, qui demeure en moi. Toute
la nuit, j’ai marché sous la pluie inconnue. On m’a donné un silence plein de
formes et de visions (dis-tu). Et tu cours désolée comme l’unique oiseau dans
le vent.
*titre en français dans le texte
○
Geste pour un objet
En un temps endormi, un temps comme un gant sur un tambour.
Les trois qui luttent en moi nous sommes restés sur le mobile point fixe et
nous ne sommes ni un est ni un j’y suis.
Il y a longtemps mes yeux ont cherché refuge dans les choses humiliées, désemparées,
mais dans l’amitié des yeux, j’ai vu et n’ai pas approuvé.
Alejandra Pizarnik, L’Enfer musical,
traduction Jacques Ancet, Ypsilon.éditeur, 2012, pp. 47, 49 et 51.
Pour découvrir de nombreux autres textes d’Alejandra Pizarnik, on peut lire ce beau
dossier publié sur le site La Pierre et le Sel.
Alejandra Pizarnik dans Poezibao :
Bio-bibliographie,
extrait
1, extrait
2, extrait
3, extrait
4, Journaux
1959-1971), ext.
5, «
Jeu tabou ».