Femme en ville. Le hasard des sorties vous voit à l’affiche de quatre films en ce début d’année. N’est-ce pas trop difficile de défendre autant de rôles si différents ?
Juliette Binoche. Quand je parle d’un de mes films dans les médias, je ne veux défendre rien, ni personne. Je ne suis pas dans une bataille. Devant la caméra, l’immersion est mon engagement. C’est là seulement que je peux agir.
FEV. Qu’est-ce qui vous a séduite dans l’histoire de Désengagement, d’Amos Gitai ? (ce mois-ci en salles)
JB. Amos m’avait envoyé quelques pages sur l’idée d’un frère et d’une soeur qui se retrouveraient après la mort de leur père. Mon rôle et l’histoire ont évolué constamment, de l’écriture au tournage et du tournage au montage. Amos prend le cinéma comme un mouvement de ses désirs et de ses idées. Il fait vivre le film au long de sa géographie intérieure.
FEV. Vous incarnez Ana, une femme qui a « deux visages ». Au début, elle est gaie et insouciante, presque comme une enfant et, à son arrivée en Israël, elle est « sous le choc » et ne parle pratiquement plus. Vous comprenez cette réaction ?
JB. Oui, au début Ana est une femme qui se cache, son insouciance lui permet de vivre avec le monde, mais ce n’est pas son véritable visage. Sa fille, dont elle a dû se séparer très jeune, est une souffrance constante, qu’elle ne veut pas s’avouer. Quand le personnage de Jeanne Moreau lui révèle le lieu où sa fille vit (dans la bande de Gaza), elle a tout à coup un but, elle doit aller la retrouver. On voit alors un autre visage d’elle, elle est passée de l’urbain à la terre.
FEV. Vous vous étiez déjà rendue en Terre sainte, il y a trois ans, pour le tournage de Mary d’Abel Ferrara. Qu’aviez-vous ressenti alors ?
JB. Pendant le tournage de Mary, nous étions restés très peu de temps, pour une question économique. Mais j’avais eu la chance d’aller en Israël et Palestine un an avant. Ce sont des lieux où l’imaginaire se mêle aux sensations, et l’on peut puiser en soi les forces à la fois terriennes et cosmiques. J’aime aller me recueillir sur les sentiers à la fois juifs, chrétiens et musulmans.
FEV. Comment vous êtes-vous préparez au rôle d’Ana ? Avez-vous beaucoup échangé avec Amos Gitai ?
JB. J’ai visionné pas mal de reportages que son fils avait fait sur le désengagement de Gaza. Nous parlons souvent de la situation politique en Israël avec Amos, depuis longtemps. J’ai toujours aimé l’écouter parler de son pays et de son histoire.
FEV. Ce mot « désengagement » ne vous ressemble pas. Vous semblez être, à l’inverse, dans l’engagement, la révolte et dans l’action…
JB. Vous savez, à la fin de chaque film, je me désengage. Apprendre à quitter et se séparer fait partie de la difficulté d’être, mais c’est absolument incontournable, on ne peut évoluer que par renoncement ! C’est triste, mais c’est comme ça. Pour aller vers le nouveau, il faut quitter et, en plus, ne pas se retourner, c’est-à-dire ne pas se plaindre et pleurer !
FEV. Encore une fois, votre personnage s’appelle Ana ! Cela doit être la huitième fois que vous portez ce prénom. Vous l’avez choisi aussi pour votre fille. Est-ce toujours une coïncidence ?
JB. Oui, il faut le croire ! « An » chez les Sumériens veut dire « le haut ». C’est en quelque sorte la grâce, la grâce du haut.
FEV. Dans deux de vos derniers films (L’Heure d’été, d’Olivier Assayas et Paris, de Cédric Klapisch), votre personnage a des frères. La relation fraternelle est au coeur des deux histoires. Vous avez vous-même une soeur. Y mettez-vous des choses de votre expérience personnelle ?
JB. Je crois que j’ai choisi ces films à cause des rapports familiaux, comme si je voulais davantage parler de moi-même. Les conflits de famille sont insupportables, mais vitaux pour notre santé, car nous devons à la fois affronter et dépasser nos émotions.
FEV. Dernièrement, vous vous êtes faite blonde pour deux rôles. Cela fait-il du bien de changer de tête ?
JB. Ce sont des choix qui aident une histoire, la signature d’un état, d’une mentalité, d’un sentiment. Pour le film L’Heure d’été, d’Olivier Assayas, il s’agissait de faire un portrait de femme qui a choisi d’être designer aux États-Unis, et il est vrai que lorsqu’on voyage en Amérique du Nord, on est étonné de voir combien de femmes se teignent les cheveux en blond... c’est effrayant !
FEV. Quand vous déclarez : « Je suis trop polie, je veux me désobéir ! », que vous voulez dire ?
JB. L’artiste ne peut pas être poli, il doit apprendre à transgresser, à aller vers un ailleurs, en lui et par lui. C’est une attitude qui demande du courage, car qui n’a pas eu envie de faire plaisir à ses parents ? Devenir indépendant passe par l’interdit !
FEV. Il y a peu de temps, à la télévision, vous évoquiez une période récente pas très heureuse qui vous a stimulée pour enchaîner les tournages. Votre travail est-il un moyen d’oublier quelquefois un peu la réalité ?
JB. L’autre jour, je riais en me disant que plus on est malheureux en amour et plus on est bon sur scène ou à l’écran ! Je crois que ce n’est pas faux, mais cela ne m’empêche pas de penser que je réussirai un jour à vivre heureuse avec quelqu’un !
FEV. Vous préparez actuellement un spectacle de danse, un duo avec le danseur et chorégraphe britannique Akram Khan, que vous présenterez à partir de la rentrée. Comment se passent les répétitions ? Pas trop de difficultés ?
JB. Beaucoup de bleus et de courbatures... je découvre le corps ! Akram et moi avançons peu à peu vers un monde que nous créons : lui dans l’émotion, et moi dans le mouvement. Je ne peux pas en dire plus pour le moment.
FEV. Dans Les Amants du Pont-Neuf, de Léos Carax, vous jouiez déjà beaucoup avec votre corps. C’est quelque chose que vous aimez, l’expression physique ?
JB. Tout part du mouvement. L’immobilité est de l’ordre du divin ! Mais la vie, ici, sur Terre et dans le cosmos, est en perpétuel mouvement. Je suis fascinée par ce point d’ancrage intérieur qui nous fait aller vers l’autre.
FEV. Est-ce que la Juliette de Mauvais sang ou de L’insoutenable légèreté de l’être a beaucoup changé ?
JB. Avec un peu de chance, j’espère être un peu moins volontaire et un peu plus tolérante. Je suis une travailleuse, un peu comme une abeille : je travaille pour la reine, on ne la voit pas, mais elle donne, elle donne.
FEV. Comment vous ressourcez-vous ?
JB. En travaillant, et avec mes enfants. Le repos, je le trouve dans le silence.
FEV. Lorsqu’ils parlent de vous, beaucoup de gens évoquent votre rire franc et communicatif ! Qu’est-ce qui vous amuse dans la vie ?
JB. Je n’aime pas me sentir coincée par une pensée, un jugement, une approximation. Mon rire se déclenche sans que j’y prenne garde. C’est mon écoute et ce que j’imagine derrière, ce que je vois ou entends, qui me surprend et qui m’apprend. Je suis, à la base, d’un caractère joyeux et partageur. Mais le bonheur d’être ensemble n’a pas toujours besoin de rire !
Le shopping de Juliette
L’égérie de Lancôme nous dévoile ses coups de coeur…FEV. Quel est le dernier livre qui vous ait fait du bien ?
JB. Qui me fait du bien ? Un peu toujours le même : Dialogues avec l’ange. [01]
FEV. Le dernier cadeau que l’on vous ait fait ?
JB. Des fleurs en sortant de l’émission « Bord Cadre » pour la chaîne Ciné-cinéma.
(Bouquet Boraha, Interflora [02], 30 €.)
FEV. L’accessoire qui vous est indispensable ?
JB. Mon sac pour y mettre tout ce que je peux.
(Sac, Sonia Rykiel [03], 1 100 €)
FEV. Le produit de beauté dont vous ne pourriez vous passer…
JB. Le masque Rénergie et un produit chinois qui ne se trouve que là-bas !
(Masque Rénergie, Lancôme [04], 37,50 €)
FEV. Votre créateur préféré ?
JB. Consuelo Zoelly qui m’habille dernièrement.
(Modèles Consuelo Zoelly, [05])
FEV. Avez-vous un objet fétiche ?
JB. Un cristal dans ma poche qu’une amie m’a donné.
(Pendentif en cristal, Lalique [06], 160 €)
FEV. Votre dernier CD ?
JB. Daft Punk que mon fils me fait écouter.
(Alive, Daft Punk, Label Virgin [07])
FEV. Votre dernière folie ?
JB. Répéter avec une double entorse au pied.
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Propos recueillis par Noelle Aziz.
Copyright : D.R.