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Titiou lecoq : « la photo de mon placenta finira sur mon blog, c’est sûr »

Publié le 26 février 2013 par Blended @blendedph

Elle tient l’un des blogs les mieux écrits de l’internet francophone. Elle se lance d’ailleurs dans l’aventure il y a 5 ans par amour des mots et non par amour de soi. Son blog s’appelle Girls and Geeks, mais ne parle pas d’informatique. Mais Titiou Lecoq n’est pas à un paradoxe près.
Elle est l’une des femmes les plus branchées de Paris, et pourtant, c’est devant un épisode des Feux de l’amour qu’on l’a dérange (« je suis fascinée par ces acteurs qui jouent dedans depuis 30 ans, c’est toute leur vie. »). Elle est féministe, mais avoue étendre le linge pendant qu’elle nous parle.
Avec son visage de Céline Salette souriante, elle parle comme si vous étiez son ami, et de fait, vous avez envie de le devenir. Intelligente, on le savait en la lisant, tendrement folle, on le découvre en lui parlant. Et comme tout le monde le sait, la folie est le terreau des grands esprits.

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Est-ce que tu peux te présenter ?
je vais avoir 33 ans cette année. Je suis Parisienne, je suis née dans le 8ème arrondissement, j’ai grandit dans le 15ème, mais en fait, mes parents étaient fauchés, c’était une escroquerie sociale. Donc, on a fini par déménager dans un HLM du 12ème. Avant, j’étais en classe avec la petite-fille du général De Gaulle, et après… disons, que la moitié de ma classe de 3ème est en prison aujourd’hui.

Voilà une enfance digne de roman. Ce sont souvent les enfances difficiles qui font les vies intéressantes. Tu as bien vécu ce déclassement social ?
Oui, plutôt bien, je n’étais pas à l’aise dans le 15ème de toute façon. Les filles étaient méchantes là-bas. D’ailleurs, une anecdote, je dois être un peu folle, mais une fille en 5ème avait été horrible avec moi. Elle se moquait de moi parce que je n’avais pas la sacoche Chevignon à la mode, j’avais un cartable. Et parce que je n’avais pas de seins. Quand j’ai eu mon blog, j’ai mis son nom dans un post et je l’ai insultée je crois. Je lui ai niqué son référencement google. Elle m’a envoyée un message, me disant « ça fait 25 ans qu’on ne s’est pas vues, je suis désolée pour ce que j’ai fait à l’époque, est-ce que tu peux enlever mon nom ? ». Je ne l’ai pas fait.

Il paraît que la vengeance n’est pas satisfaisante, laisse frustrée ?
N’importe quoi. Ceux qui disent ça ne se sont jamais vengés. Jouissif.

Quelle est la genèse du blog Girls and Geeks ?
Après de très longues études de lettre, parce que je ne voulais pas quitter l’école, j’ai fais un stage aux Inrocks. C’était vraiment cool, mais comme tous journalistes, je n’étais pas tout à fait libre dans l’écriture. Une pote, Diane (Lisarelli), me dit de faire un blog. Mais, on est en 2007, et c’est un peu la honte d’avoir un blog. J’hésite et je le fais.
Donc, ma première motivation, c’est l’écriture. Écrire ce que je veux. Et surtout, pouvoir utiliser le blog comme un lieu d’exercices de style. Et puis, c’était un moment où je changeais de vie, je quittais mon mec, je déménageais. Donc, je me suis dit que j’aurai de la substance. J’ai fait mes 6 premiers mois sur ma rupture. Une vraie thérapie.

Comment te vient le nom du site ? Il est paradoxal, c’est en le lisant qu’on se rend compte que l’informatique est un monde masculin, presque macho, parce qu’on imagine plus facilement une femme mécano que geek.
J’aimais bien l’allitération. Je l’ai fait sans trop réfléchir en fait. Le soucis, c’est que rapidement après, il y a eu la mode des geekettes. Tous les magazines me contactaient, alors que je suis une bille en informatique.

Comment définirais-tu le ton du blog ? Il est assez unique en fait.
C’est la manière dont je me parle à moi-même. À la base, je cherche à casser les codes de syntaxe. J’ai fait la Sorbonne et j’ai bouffé de la syntaxe jusqu’à indigestion. Si tu regardes, je multiplie, par exemple, les conjonctions de coordinations, ce qui ne doit pas se faire, mais en fait à la lecture, paraît beaucoup plus naturel. Comme suivre une pensée.

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Et d’où tires-tu tes revenus ?
Je travaille comme journaliste pour Slate, Grazia et Next. Plus les droits d’auteurs de mes livres. Surtout Les Morues.

Combien as-tu vendu d’exemplaires ?
20.000 je crois. Je viens de vendre les droits pour le cinéma, à Sylvie Testud.

Combien de lecteurs sur ton blog ?
Aucune idée. Je pensais que je ne pourrais jamais me passer de google analytics, mais je n’y suis pas retournée depuis un an et demi. J’ai perdu les codes d’ailleurs. La dernière fois que j’y suis allée, j’étais à 4.000 les jours où je postais.

Tu as une catégorie « du sexe », c’est un peu casse gueule non ?
Je ne parle pas de sexo comme les magazines féminins, moi, je parle plutôt de porno ou ce genre de truc. Les sujets « comment pimenter sa vie de couple ? » ou ce genre de trucs, c’est pas pour moi. Je vois le sexe plus comme un sujet de réflexion. C’est un sujet qui m’intéresse tout simplement. Lors de ma première année de thèse à la Sorbonne – juste avant que j’arrête en fait – mon directeur de recherche Georges Molinié, ancien directeur et homme fascinant, nous incitait toujours à nous intéresser au sexe comme sujet d’études.

Tu as aussi une catégorie « guide des chiottes ». C’est plus original.
Après avoir passé 6 mois à parler de ma rupture, je me demandais de quoi j’allais parler. Je paniquais un peu en fait. Les Nuls avaient fait une sorte de guide des toilettes. Ça me faisait vraiment marrer. Et puis, c’était un biais pour parler de mes soirées. Les toilettes du théâtre, du resto… En plus, je fais beaucoup pipi, c’est quelque chose d’important dans ma vie. Le soucis, c’est qu’à l’époque, il n’y avait pas de smartphone, donc j’allais aux toilettes avec un appareil photo au resto. Ça faisait un peu perverse.

Sans être dans la revendication, c’est un blog assez féministe en fait.
Moi, je suis féministe. Revendiquée, voulue. Quand j’écris pour Slate ou un autre support, c’est plus compliqué à faire passer, mais sur mon blog, je suis libre.

Quel genre de féminisme ? Plutôt Christiane Taubira, Femen ou Chiennes de Garde ?
Plutôt Taubira. Les Femen, elles sont un peu marketing. Leur dernière opération à Notre Dame, ça a du sens en Russie, mais pas en France.

Comment tu vois la place de la femme aujourd’hui ?
C’est tellement disparate. Moi, en tant que petite bourge journaliste parisienne, je trouve que ça va. Je trouve que l’affaire DSK a amené plus de vigilance. Après, évidemment, c’est toujours, en majorité, la femme qui sacrifie sa carrière, qui s’occupe des enfants.

J’ai lu sur ton blog, que même pendant ton accouchement, tu étais connectée ? Tu es accroc à ce point ?
Mon accouchement a duré 10 heures, j’avais le temps. Bon, pendant la demie-heure de travail final, je ne faisais rien évidemment. Juste après mon accouchement, j’avais mon téléphone dans la main et j’étais tellement shootée que j’ai pris mon placenta en photo. Je l’ai encore. Dès que je suis bourrée je le montre à tout le monde. Il finira sur mon blog d’ailleurs, c’est sûr.

Quels sont tes projets pour ton blog ?
Si je te la joue cool, je te dis que je vais le laisser évoluer avec moi. Mais en fait, je suis assez stressée. En plus, je poste moins, j’ai peur de me répéter. Mais je ne veux pas arrêter. J’adorerais être une grand-mère blogueuse, qui dit du mal de ses petits-enfants. En ce moment, je le relis, ça fait 5 ans et je commence à me demander si je ne peux pas le compiler parce qu’il y a des trucs intéressants du point de vue littéraire. Il y a des éditeurs qui m’en ont parlé, qui sont intéressés, mais c’est compliqué. Parce que l’écriture blog ne marche pas bien sur papier. Je le verrai plutôt comme une suite de petits textes, sur un format plus petit que le poche encore. Un bon bouquin de métro.

En parlant de livre, justement, parles nous des Morues (Broché, 2011).
C’était mon envie première. Toute petite je voulais être romancière. J’avais écrit un premier roman, catastrophique. Je me suis dit que je devais apprendre à raconter une histoire d’abord. Le polar pour ça, c’est le mieux. Et après, je suis partie sur un truc plus générationnel. J’ai mis trois ans à l’écrire.

Tu as aussi co-écrit avec Diane Lisarelli, une Encyclopédie de la webculture (Broché, 2011). C’est quoi la webculture ?

C’est, par exemple, les détournements d’images, tout ce qu’on peut faire sur le net. Comme les Chuck Norris Fact. Ça a duré six mois, mais c’est entré dans la culture. Donc, ça mérite le nom de culture. Moi, je rapproche ça des surréalistes. Pour Diane, c’est plutôt à mettre en lien avec la société du spectacle selon Debord.

Comment tu vois l’évolution d’internet ?
Avant, ceux qui allaient sur internet, c’était les gars pas populaires du lycée. Une réunion de gros losers. Et il se trouve qu’ils étaient beaucoup plus intéressants que les populaires. C’était, à proprement parler, une contre-culture. Et puis, le capitalisme est entré là-dedans. Maintenant, c’est une course aux clics, il y a moins de liberté. Par exemple, tu sais que Google aujourd’hui fait des recherches personnalisées. Ils te proposent des réponses selon ton historique de navigation. Tu ne peux plus te perdre sur internet, découvrir, t’ouvrir. C’est une forme perverse de contrôle.


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