Ressource Première (Texte d’opinion d’une camarade, Sabrina Perreault)

Publié le 11 avril 2008 par Hugo Jolly

Embourbé dans un système dont l’engrenage rouillé ne cesse de vaciller, l’homme se satisfait de sa condition prolétarienne. Il n’y voit que la réalité qui dévore ses rêves et ambitions, acceptée et à jamais acclamée. Combien de fois, nous sommes nous fait répéter que « Ça a toujours été comme ça. » « À ton âge, moi aussi je pensais comme toi » « Tu n’as pas le choix. ». Endormi dans ce cadre prédéfini, incapable de voir au-delà de sa propre cage, l’homme se perçoit comme libre. Libre de choisir, libre d’établir sa propre façon de vivre. Illusion de liberté, afin de promouvoir la productivité. Cercle vicieux qui n’a pour but que l’amoindrissement de la matière intellectuelle de l’humain. Matérialiste, consommateur, ignorant ou averti…il n’en demeure pas moins un prisonnier en quête incessante du bonheur.

Sommes-nous à ce point engourdis qu’il nous est impossible de voir cette roue tourner? Sommes-nous à ce point découragés, que nous préférons fermer les yeux sur notre présent, notre futur et notre passé? Comment pouvons-nous accepter de vivre dans de telles conditions sans n’avoir mot sur notre vie?

Nous sommes assourdis par le bruit que produit la machine, étourdis par ses lumières et ses emblèmes. Comment pourrions-nous s’asseoir et ne regarder que pour un instant, le mouvement de cette roue. Contempler avec aggravation la détérioration de notre existence. Réduisez à néant tout efforts car hommes seuls que vous êtes, inutile de vous réveillez, ce rêve est bien plus seyant.

Tout au loin, nous apercevons ce tendre mirage. Un vent soudain, balayant la côte alors que d’un congé, nous profitons de cette vue, oh si plaisante. Le vacarme si familier n’est plus, mais d’un claquement de doigts, de retour. Espoir vain trop souvent malsain, voilà ce bonheur auquel l’homme s’étreint.

Nous n’avons pas le temps de penser. Nous naissons sur cette terre, en tant que matière première, pour cette industrie qui démoli le potentiel de l’homme tel que nous l’avons connu. La ressource, inlassable, se reproduit et lorsqu’un ne fait plus, l’autre ne saura que mieux huiler l’outillage. Tel un cannibale, notre prédateur nous matte, nous épis. Il saura bien assez tôt lorsque le moment du renouvellement arrivera, dévoré son innocente proie.

Et il regarde le tournoiement de sa roue, un savoureux sourire lui caressant les traits rigides du visage. Il le sait. Matière première, non seulement ne produis-tu pas de merveilleuses babioles, tu sais mieux que quiconque, les utiliser. De ce bout de papier, tel un magicien, tu sauras m’en ramener des milliers. Ne demande jamais plus que ton pain, car au grand jamais je ne tolèrerai une telle insolence. Ceci est mien, contente toi de ton tien.

Et nous regarderons la bête dévorer notre frère, car nous sommes libres. Nous ne dirons mot, car nous sommes confortables. Nous gagnons notre pain, il ne savait point ce qu’il goutait. Mais à quoi bon, ma mie est fraîche, et ce nid n’est que plus mien.

Vient le jour où le grain se fait rare. Nous ne pouvons gagner notre pain, car il a disparu. Nous ne pouvons gagner notre eau, car il l’a tout bu. Mais à quoi bon, nous sommes confortables. …Nous étions confortables. Aujourd’hui nous n’avons plus de quoi subsister et cette roue, dont nous entendions le si doux rouage, a cessé de tourner. Nous avons, aussi, cessé d’exister.

Sabrina Perreault