Aujourd’hui, j’avais le choix entre géopolitique internationale, économie mondialisée et un petit potentat franchouille. Me vautrant avec délice dans ma facilité habituelle, j’ai évidemment choisi le potentat. Et avec Jean-Paul Huchon, on parle d’un potentat bien lourd, bien solide, bien fermement installé dans la certitude de sa rectitude morale. Difficile, donc, de passer à côté.
Et puis le Jean-Paul, ce n’est pas exactement comme si c’était un inconnu, puisqu’il avait déjà été repéré pour ses efforts catastrophiques dans la gestion des transports en Île-de-France, avec les résultats qu’on peut observer tous les jours, et il avait laissé un vague souvenir pour avoir notamment exploré sans vergogne le népotisme à distance en plaçant sa belle-fille au Musée de la Solidarité à Santiago du Chili. On a donc avec lui un bon client, typique de ce socialisme d’affichage qui ne dépasse pas la lettre d’intention ou le programme du candidat.
Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : malgré le nombre consternant de casseroles qu’il traîne, Huchon n’est pas un poids-lourd de la veulerie politicienne. On n’est pas ici dans la même catégorie qu’un Monteclown dont on se demande, à voir par exemple ses récents échanges épistolaires avec le patron de Titan, si son cas d’hypocrite politicard ne se double pas d’une lourde pathologie mentale, à mi-chemin entre l’autisme et la folie furieuse. Mais cependant, sans même arriver à ce niveau-là, le Jean-Paul reste à l’évidence une bonne référence en matière de torsion de sens, de déformation de la réalité et de foutage de gueule républicain que n’excuse en rien un patronyme aux accents de gros édredon moelleux. Et cette fois-ci, c’est au sujet de fauteuils de cinéma (oui oui, vous avez bien lu) que Jean-Paul s’exprime et montre toute l’étendue de sa démagogie la plus crasseuse mise au service d’objectifs politiques les plus putassiers.
Tout commence avec le développement, par Pathé, d’une salle de cinéma aux aménagements luxueux : celle salle, astucieusement appelée Pathé + (probablement parce que Pathé Aux Truffes aurait été too much), propose des places numérotées, vendues 3€ de plus car plus confortables et situées au centre pour profiter au mieux du nouveau système sonore Dolby Atmos et d’une image ultra haute-définition baptisée 4K. La publicité qui a entouré cette salle fut, on peut le dire, modeste, mais l’idée est d’offrir une salle d’exception, avec des conditions de visualisation et d’audition très supérieures à la moyenne pour justifier le différentiel de prix. Selon François Ivernel, PDG des cinémas Gaumont Pathé :
« La salle Pathé + est aux salles de cinéma ce que la Formule 1 est aux constructeurs automobiles : le point le plus avancé d’un savoir-faire et une inspiration qui entraîne l’ensemble vers le haut »
Le développement de cette offre correspond à la demande d’une partie des spectateurs, et bien évidemment, le patron s’empresse de préciser ensuite « que le reste de la salle propose des fauteuils clubs très confortables et également bien situés », il ne s’agirait pas de faire fuir les autres clients traditionnels…
Mais voilà : cette nouvelle tarification et ces nouveaux aménagements ne sont pas du goût de tout le monde. Imaginez-vous bien qu’avec une telle disposition, aujourd’hui, à notre époque, en plein XXIème Siècle, on aura des gens pauvres, l’œil hagard et les joues creusées, avec des bonbons Haribo probablement passés de date dans des sacs rikikis, regardant l’écran depuis un angle improbable, et, dans la même salle, au même moment, en France, oui, en France, pays de l’Égalité et de la corne d’abondance qui chante l’Internationale en stéréo, des gens qui seront au milieu, avec un gros paquet de bonbons Haribo frais et goûtus, dans un angle parfait et avec un placement optimal pour entendre parfaitement les moindres toussotements de la bande son palpitante de leur film probablement même pas français.
C’est proprement IN TO LÉ RA BLE !
Enfin, disons plus précisément que pour Jean-Paul Huchon, c’est intolérable, insupportable, scandaleux et parfaitement consternant ! C’est, n’hésitons pas à le dire, une véritable ségrégation dans les salles de cinéma, car on sait déjà ce qui va se passer : les gens pauvres vont forcément se retrouver rejetés sur les bords, alors que les bourgeois opulents se retrouveront tous au milieu, entre eux !
J’exagère ? Ben non, même pas : au Conseil Régional d’Île-de-France, entre le groupe socialiste et le groupe communiste, cela se bat férocement pour être le plus indigné ou le plus scandalisé devant ces pratiques indignes et scandaleuses. Et puis, il faut bien le reconnaître, ces gros fauteuils larges et mous, bien placés, sont une excuse lamentable à une « scandaleuse augmentation en période de crise, alors que pour le tarif habituel, le spectateur n’a plus droit qu’à des places torticolis. »
Eh oui : à partir du moment où la salle offre des avantages indéniables en matière de son et d’image, il est parfaitement sKandaleux de faire payer ces coûteux aménagements au public qui, comme chacun le sait, doit pouvoir accéder à son film quoi qu’il arrive, Service Public de l’Accès Au Cinéma Dans Les Salles Dolby Atmos oblige ! Des actions fermes et déterminées ont donc été vivement demandées au président du Conseil pour mettre fin à cette inégalité et ce barrage insupportable du peuple à la culture auquel il a le droit par de vils capitalistes manifestement attirés une fois de trop par un gain facile. Comme les élus n’ont pas tout pouvoir de vie et de mort sur les entreprises françaises (pour le moment, mes amis, pour le moment) et que les atteintes à la propriété privée nécessitent une enquiquinante paperasserie administrative, Jean-Paul Huchon a tout de même reconnu ceci :
« Nous n’avons aucun pouvoir direct sur la tarification mais le soutien que nous apportons à la production comme à la diffusion participe d’un même esprit : promouvoir l’égalité d’accès à la culture, c’est une exception française et elle fonctionne plutôt bien. »
Et voilà le socialisme appliqué en direct : une bonne et lourde menace de couper des financements, de l’intervention, de la discrimination (application d’un choix) à qui aura le droit de toucher ou pas des pépètes du contribuable, bref, on est en plein despotisme arbitraire. Mais surtout, depuis quand une salle suréquipée serait un « accès à la culture » sachant que d’autres salles, normalement équipées, proposent les mêmes débits d’images à des prix habituels ? Depuis quand offrir des services supplémentaires serait-il une rupture d’égalité ? Depuis quand l’accès au cinéma en son Dolby Atmos et Image 4K est-il un droit ? Et surtout, depuis quand l’État s’est-il piqué de distribuer du cinéma au peuple ?
Toute une flopitude intéressante de questions qui ne seront posées par aucun journaliste et par à peu près aucun citoyen trop heureux de voir qu’il va pouvoir, moyennant une petite clef de bras sur l’entreprise Pathé, bénéficier d’une salle aux équipements hi-tech pour le même prix qu’une salle traditionnelle :
« Nous sommes donc en droit d’attendre d’un groupe de l’envergure de Pathé qu’il fasse en sorte que cette égalité soit promue et respectée. Je vais écrire personnellement en ce sens à Jérôme Seydoux et Eduardo Malone, coprésidents du groupe Pathé, pour leur exprimer notre indignation et notre inquiétude. »
On dirait du Montebourg dans le texte : de l’indignation, de l’inquiétude, de la frisette capillaire qui gigote au rythme des pulsations cardiaques désordonnées devant tant d’horreur, pas de doute, Arnaud a montré la voie à Jean-Paul qui lui emboîte le pas avec la quantité calculée d’allant que son corps souple de mammifère bien nourri lui permet encore.
Ne vous y trompez pas, on retrouve ici la même indignation débile qui s’empare des tartuffes et des jaloux lorsqu’ils voient les salaires des acteurs, par exemple : c’est le même effarouchement pénible et les mêmes cris stridents d’effrois devant l’injustice de la vie qui n’a pas fait de tous les électeurs des beaux gosses fortunés.
La réaction du pesant ruminant républicain illustre parfaitement tout l’aspect délétère des subventions massives du cinéma et de la fort pénible mutation qu’entreprend cette industrie à l’heure de la numérisation. Les accros à la subvention que sont les majors ont ici trouvé un moyen honnête de faire venir les gens dans leurs salles : proposer un service différenciant, une qualité spécifique de son et d’image. De la même façon que les salles proposent maintenant des spectacles d’opéra ou des concerts en direct, ces nouvelles options permettent aux exploitants de tirer leur épingle du jeu, de combattre efficacement la concurrence du canapé, du téléchargement gratuit et des soirées pizza.
Le gros Jean-Paul est tout ébouriffé d’apprendre que les places sont plus chères au milieu de cette salle. On frémit déjà de sa réaction apoplectique lorsqu’il saura que les places dans un cinéma qui retransmet Roméo & Juliette (capté en direct depuis Londres) peuvent monter jusqu’à 26€. CooOÔOoomment, les pauvres ne peuvent pas aller à l’opéra ? Mais c’est proprement IN TO LÉ RA BLE !
J’attends avec un certain sadisme le moment où les mêmes élus hypocrites feront une nouvelle crise d’égalitarisme (avec peut-être à la clef une petite crise cardiaque ou un AVC) lorsqu’ils se rendront compte que tout le monde n’a pas forcément accès aux meilleures places dans les opéras, dans les concerts, dans les présentations culturelles ou, tiens, dans les soirées pince-fesse du Conseil Régional d’Île-De-France.