Suisse: trafics helvétiques en Angola et au Nigeria

Publié le 26 février 2013 par Eldon

Une nouvelle enquête de l’ONG la Déclaration de Berne, montre que la compagnie de courtage pétrolier suisse Trafigura, déjà impliquée dans un énorme scandale en 2006, contribue par ses alliances opaques à l’enrichissement d’une caste de dirigeants autocratiques au détriment de la population angolaise, parmi les plus pauvres de la planète, malgré une croissance à deux chiffres de l’Angola, pays parmi les plus corrompus de la planète (157e place, selon Transparency International)

Une richesse nationale accaparée par une minorité, une multinationale abjecte: du déjà vu et revu, hélas. Qu’un Etat européen se retrouve impliqué là dedans, car la Suisse n’est pas sans reproches, n’est que plus affligeant.

« C’est une affaire qui fait grand bruit. Un rapport publié le 3 février par La Déclaration de Berne, une ONG helvète, met en évidence des liens étroits unissant la société de négoce Trafigura, basée en Suisse, à des personnalités proches du pouvoir angolais. Le général Leopoldino Fragoso do Nascimento, alias « Dino », se retrouve ainsi, à travers un écheveau de sociétés offshore (Suisse, Singapour, Bahamas, îles Vierges britanniques), dans l’actionnariat de DTS Holdings, une entreprise détenue en partie par une filiale de Trafigura. Or DTS Holdings a signé avec Luanda, en 2009, un contrat d’échange (pétrole brut contre carburant) estimé fin 2011 à 2,5 milliards d’euros. Ce type de montage, complexe et bien souvent destiné à sortir illégalement des devises du pays, est dans le collimateur des États-Unis et de l’Union européenne, qui souhaitent légiférer afin que les sociétés installées sur leur territoire fassent preuve de plus de transparence.

La Suisse, centre névralgique

La Suisse apparaît une fois de plus comme le centre névralgique des détournements de l’argent du pétrole africain. En octobre 2012 déjà, le Nigeria s’est tourné vers les autorités helvétiques pour l’aider à enquêter sur une longue liste de petites sociétés nigérianes liées à d’importantes firmes de négoce suisses. Contacté par Jeune Afrique, l’Office fédéral de la justice indique avoir ouvert « une enquête préliminaire sur la recevabilité de cette demande » et attendre « des éléments de précision de la part du Nigeria ». Abuja estime à 5,2 milliards d’euros les sommes détournées entre 2009 et 2011.

Source: Jeune Afrique

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A lire: Article d’Amnesty International sur le scandale Trafigura de 2006

En 2006, des déchets toxiques sont acheminés en Côte d’Ivoire à bord du Probo Koala, navire affrété par Trafigura. Rejetés sur la capitale Abidjan, ils provoqueront une vraie tragédie :  plus de 100 000 personnes doivent consulter un médecin et 15 personnes décèdent. Entreprise criminelle, carences des États, impunité, l’affaire reste l’un des pires scandales de déversement  de déchets toxiques de ces dernières années. Reportage.

Le 20 août 2006, Abidjan se réveille dans une atmosphère de cauchemar. Dans plusieurs quartiers de la capitale économique de la Côte d’Ivoire, une odeur de soufre prend à la gorge les habitants. Vomissements, maux de tête, difficultés respiratoires, irritation des yeux et de la peau créent la panique dans la population.

Rapidement submergés, les centres de santé et les hôpitaux appellent des organismes internationaux à l’aide pour seconder un personnel médical débordé. Les autorités dénombrent 15 décès. Selon les registres officiels, plus de 100 000 personnes recevront des soins, mais le nombre de personnes touchées est certainement supérieur.

Assez rapidement, l’origine de cette catastrophe sanitaire est connue : en 18 lieux d’Abidjan ont été déversés des déchets toxiques transportés par le cargo Probo Koala, affrété par une société de négoce en produits pétroliers, Trafigura. Le pétrolier-vraquier-minéralier porte le pavillon du Panama, connu pour son laxisme en matière de droit du travail. Au moment des faits, le navire aurait été géré par une société grecque. Quant à Trafigura, l’affréteur, c’est une société créée en 1993 par deux Français, Claude Dauphin et Éric de Turckheim. Son siège opérationnel est basé à Londres mais sa maison-mère est aux Pays-Bas. C’est sa filiale ivoirienne qui a été chargée de l’élimination de la cargaison. Et plutôt que de faire appel à une société spécialisée, elle a confié cette tâche à une entreprise agréée le mois précédent, Tommy. Une société néerlandaise avait proposé de traiter ces déchets au tarif de 1 000 euros par m3. Tommy prétendait le faire pour moins de 30 euros… Et ses chauffeurs se sont donc contentés de déverser le liquide toxique dans des décharges et canaux de la ville.

Appât du gain, atteintes aux droits humains et carences des États sont les ingrédients de cet incroyable scandale euro-africain qui, six ans après, a vu ses principaux responsables échapper à la justice tandis qu’à Abidjan s’évaporait l’essentiel de l’argent destiné à indemniser les victimes. Il aura fallu trois ans d’enquête à Amnesty et Greenpeace pour en démêler les fils. Le rapport Une vérité toxique, publié en septembre 2012, examine en profondeur la succession tragique des défaillances à l’origine d’un désastre sanitaire, politique et environnemental. L’un des apports majeurs de cette enquête consiste à revisiter le parcours de la cargaison toxique pour expliquer comment plusieurs gouvernements se sont montrés incapables d’interrompre le voyage du Probo Koala et de sa cargaison vers Abidjan.

Un lavage criminel

À l’origine du produit lui-même apparaît d’emblée la tentation de l’argent facile. Trafigura a l’idée de recourir à un procédé devenu rarissime car très polluant : le « lavage » à la soude caustique de cargaisons de pétrole non raffiné appelé naphta de cokéfaction, pour en faire du carburant. « [C]’est moins cher que tout ce qu’on peut imaginer et on devrait en tirer un paquet de dollars », s’extasiait en décembre 2005 un employé du bureau londonien de Trafigura dans un e-mail révélé dans le cadre d’une enquête judiciaire. L’entreprise savait parfaitement que ce procédé (interdit aux États-Unis, en Europe et à Singapour) produirait des déchets toxiques difficiles à éliminer. De fait, Trafigura n’a pu trouver que deux sociétés dans le monde prêtes à le faire, aux Pays-Bas et en Tunisie.

Quand l’une puis l’autre ont renoncé, Trafigura a décidé d’entreprendre elle-même les opérations de « lavage » en mer. Cependant, elle n’avait toujours pas de solution au problème de l’élimination des déchets, stockés sur le navire même. Après plusieurs tentatives infructueuses auprès de ports européens, Trafigura a conclu un accord avec la société Amsterdam Port Services (APS). Cependant, il est apparu que Trafigura n’avait pas révélé à APS la nature exacte de la cargaison, parlant de « résidus » alors qu’aux termes de la Convention de Bâle, il s’agissait sans conteste de « déchets ». APS révise alors son devis, qui atteint plus de 500 000 euros, somme à comparer au bénéfice attendu par Trafigura de l’opération dans son ensemble, 5,5 millions d’euros. Trouvant le devis d’APS trop cher, Trafigura demande alors à l’entreprise de re-pomper les déchets à bord du Probo Koala.

Les autorités locales auraient-elles dû bloquer ce rechargement ? Oui, ont conclu des enquêtes ultérieures. En vertu du droit international et européen, l’État du port avait l’obligation de savoir où les déchets allaient être emmenés pour être éliminés. Pourtant, le 5 juillet 2006, les déchets sont rechargés sur le Probo Koala et le navire appareille vers l’Estonie. Il n’y fait qu’une escale, avant sa véritable destination : l’Afrique.

Au Nigeria, géant pétrolier ouest-africain, la toxicité évidente du produit pose problème. Après avoir envisagé de transférer le produit sur une barge et de le ramener au Nigeria sous un autre nom pour tromper les autorités, Trafigura donne finalement l’ordre au Probo Koala d’appareiller pour Abidjan. La société y a, comme on l’a vu, conclu un accord avec une entreprise ivoirienne nouvellement agréée, ouvrant la voie à la catastrophe.

Lors du déchargement au port d’Abidjan, les douaniers présents, bien que physiquement affectés par les émanations des déchets, n’interviennent pas. Transporté par camion, le produit est déversé dans la décharge à ciel ouvert d’Akouédo, l’une des principales de la ville, puis, la décharge ayant fermé, en divers lieux de la ville. « Pendant le transport, je me suis rendu compte que quelque chose clochait avec ce produit, a témoigné un chauffeur. Il puait terriblement. (…) Rien que quand j’ai ouvert les écoutilles de sécurité de mon camion, le produit m’a rongé les doigts ».

Selon un toxicologue consulté par Amnesty et Greenpeace, les victimes ont pu être exposées à des mercaptans, composés organiques irritants pour les yeux, la peau et l’appareil respiratoire. Les déchets contenant du sulfure, il se peut aussi que se soit formé de l’hydrogène sulfuré, qui irrite les yeux et l’appareil respiratoire et qui a également des effets sur le système nerveux central, provoquant maux de tête et nausées. L’exposition à de fortes concentrations d’hydrogène sulfuré peut entraîner la perte de connaissance et la mort.

Aussi incroyable que cela paraisse, bien que Trafigura ait été reconnue coupable par un tribunal néerlandais d’exportation illégale de déchets depuis l’Europe, à Abidjan, un procès initié en septembre 2006 a débouché sur un non-lieu. Pourtant, le rapport d’Amnesty et Greenpeace révèle que l’entreprise était consciente que son sous-traitant à Abidjan, ayant fourni une lettre manuscrite en guise de contrat, allait bien se contenter de « décharger » les déchets dans une décharge publique et non les traiter comme cela aurait été nécessaire. Le prix facturé était si invraisemblable que Trafigura a demandé à sa filiale ivoirienne de faire confectionner une facture « gonflée », à même d’être crédible aux yeux des douanes européennes.

Impunité au sommet

Suspendus par le gouvernement ivoirien et accablés par le rapport d’une commission nationale d’enquête, le directeur du Port autonome d’Abidjan, le directeur général des douanes et le gouverneur du district d’Abidjan, tous proches du président alors au pouvoir, Laurent Gbagbo, avaient été impunément rétablis dans leurs fonctions par ce dernier. C’est dans l’opacité qu’un accord a été conclu en 2007 entre le pouvoir ivoirien et le groupe Trafigura : le gouvernement ivoirien a reçu 105 milliards de francs CFA (160 millions d’euros) en échange de l’arrêt des poursuites contre les dirigeants de Trafigura. Seules deux personnes ont été déclarées coupables pénalement : le directeur de la société Tommy et un employé de l’agent maritime ayant pris en charge le navire. Tous les représentants de l’État ont été acquittés.

Une autre action, au civil, a par ailleurs été intentée à Londres par un cabinet d’avocats au nom de 30 000 victimes ivoiriennes. Elle a abouti au versement par l’entreprise de quelque 33 millions d’euros, qui devaient être distribués sous la responsabilité du cabinet d’avocats britanniques. Las, une « Coordination nationale des victimes des déchets toxiques » dirigée par des proches du pouvoir ivoirien a obtenu le contrôle du pactole. Si quelques milliers de victimes ont pu toucher chacune 1 100 euros, une partie importante de la somme s’est ensuite évaporée.

« Les atteintes aux droits humains étaient transnationales, mais les recours ne l’étaient pas », constate le rapport. Non seulement les États impliqués n’ont pas empêché les mouvements transfrontaliers et le déversement des déchets, mais ils n’ont pas su proposer un dédommagement effectif aux victimes dont les droits avaient été bafoués. Des leçons ont-elles été tirées de ce drame ? Oui : en conséquence directe, l’Organisation maritime internationale a interdit, à compter du 1er janvier 2012, les opérations de mélange de carburants et la conduite de procédés industriels à bord des navires. Mais cette nouvelle règle sera-t-elle davantage respectée que ne l’ont été toutes les lois bafouées dans le cadre du scandale du Probo Koala ?

Luc Machet

 Un scandale sanitaire, environnemental et judiciaire

19 août 2006 Les déchets toxiques transportés par le Probo Koala, arrivé le jour même à Abidjan, sont déversés en plusieurs points de la capitale économique ivoirienne.
31 janvier 2007 Plus de 100 000 consultations médicales liées au déversement des déchets ont été recensées.
13 février 2007 Un protocole d’accord est signé entre Trafigura et l’État ivoirien.
16 septembre 2009 Un règlement à l’amiable est conclu entre Trafigura et une association de victimes.
23 décembre 2011 La cour d’appel de La Haye condamne une filiale de Trafigura à 1 million d’euros d’amende pour exportation illégale de déchets dangereux.

Source: Amnesty International

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