CLAUDE JOSEPH PAUL RUDEL
né à Saint Etienne de Gourgas, au contreforts du Larzac le 22. janvier 1949, dans les pierres calcaires, à quelques mètres des restes du château du village, dont il devait restaurer la tour en partie trente ans plus tard.
Joseph, comme tous les fils aînés des fils aînés de la famille Rudel. Du nom de son grand père paternel, et Paul comme celui du côté de sa mère. Et Claude, Claudius, comme l’empereur, allaient dire ses amis, Claude, comme claudicant, celui qui est boiteux, allait dire Claude lui même. Il allait refuser toute sa vie catégoriquement toute revendication de fausse noblesse et fausse autorité.
Il était l’aîné de 5 enfants, l’enfant du mariage et de l’amour de Paule Martin, fille de la ferme de Lascot et de Roger Rudel, cultivateur de vignes et d’arbres et bâtisseur de murets. Il a grandit à Saint Etienne avec ses frères cadets, Bernard et Rolland, plus tard venaient au monde Michel et la « petite » sœur Anne-Marie.
Il se rappelait encore le gèle de 1956, qui avait détruit les oliviers et endommagé la vigne, quand la fontaine en haut du village avait transformé toute la rue en patinoire, et qu’il devenait difficile de nourrir une famille avec 1 hectare de vigne et des arbres à reprendre. Mais son père Roger les a repris, comme son fils devait reprendre après chaque passage des fléaux naturels plus tard. Les bras de Roger, son amour et l’amour et les repas soigneusement préparé de Paule ont fait, que ce ne sont pas de souvenirs de misère, que gardait Claude de son enfance.
Il y avait aussi déjà tôt les participations au travail après l’école et pendant les vacances. L’herbe pour les lapins, les petits travaux dans les vignes, où chacun apportait ses forces, le jardin. Il y avait les jeux avec les frères et les copains, Pierre-Alain, les premiers pipes de tabac volé dans la cachette d’un vieux voisin, les premiers cabanes construites avec du genet.
Il y avait l’histoire que racontait le grand-oncle Arthur, qui était monté à Paris dans sa jeunesse, y avait travaillé comme maçon, et avait comme plus beau souvenir le jour, où il y avait pu entendre La Callas en concert !
Il y avait l’école du village, et plus tard le petit séminaire Saint Roche à Montpellier. Avec si peu de terre à partager, l’aîné aurait pu faire curé – mais il se révoltait bien vite de la contradiction entre les paroles de l’évangile et une église, qui accepte, que ses prêtres bénissent des canons, il perdait sa foi. En quittant cette école, il devait lui rester les souvenirs des chants liturgiques avec Monsignore Rouqueirole, et des cérémonies, comme celle de pâques avec toutes ces bougies, qui seront allumées à mesure.
Il rentrait à l’école libre à Bédarieux, ´faisait souvent du stop pour le trajet à Lodève, pour économiser l’argent pour s’acheter des livres à la place – il garde un bon souvenir de Paul Rodier, le jeun pion de l'époque, qu’il allait retrouver autour de la musique plus tard. Il allait se faire virer comme meneur de l’insurrection de sa classe avant le BEPC, qu’il passait comme externe – encore une révolte contre l’injustice. Il allait garder le souvenir et le goût de la poésie.
Suivaient des années de recherche et d’apprentissage de la vie :
- le travail dans une carrière du côté du Salagou à 17 ans, qui était dur et se montrait incompatible avec l’envie d’apprendre le violon. Les travaux de maçonnerie pour des patrons, qu’il ne supportait pas facilement,
- après avec son frère Bernard, les premières constructions en pierre,
- les voyages, toujours financés par des travaux en route : la Belgique, l’Hollande, le Nord de l’Allemagne, et même la Norvège, pour revoir l’ami de l’enfance, là il vendait des bijoux fabrication maison dans les rues d’Oslo.
- L’année comme portier d’hôtel dans une station de ski dans le haut Valais en Suisse, qui lui montrait le mépris dans le traitement des travailleurs étrangers.
- Une année à Paris, dans une agence d’assurance, qu’il quittait en 68, en plein grève générale, pour rentrer dans l’Hérault en stop, sous un bras une guitare, sous l’autre le tableau, qu’il avait pu choisir chez l’ami peintre, voisin de chambre de l’hôtel Place Blanche.
- Les mois au Maroc, seul pays, où il n’osait pas demander du travail, vu la pauvreté des autres, qui y vivaient. Il en gardait des souvenirs inoubliables de paysages et cultures, de la musique arabe classique, d’Oum Calsum dans chaque radio transistor, et de l’oppression d’un peuple sous une dictature et un système de bacschich et d’abus de pouvoir par ses fonctionnaires, qui le révoltait.
Le retour dans le pays devait être un retour à la terre.
Claude et Bernard achetaient ensemble une maison et des terres à Mezeilles, en 1972. Un peu de vigne, quelques chèvres, le jardin et des années de travail dur de chantier pour payer le prix de la propriété.
Un mariage, avec Cathérine Ormond, la femme pasteur Suisse, qui était venue marier Bernard et Thérèse.
L’achat de Lisson, pour pouvoir être sur ses terres à lui et y rénover sa maison.
Les années comme mari du pasteur à Mazamet, passage, dont il gardait des contacts chaleureux avec « ses » paroissiens – certains encore aujourd’hui nos amis. Le festival Bach, Cathérine, qui étudiait le piano, encore du travail dur pour rembourser le crédit privé pour l’achat de la maison. La séparation du couple – douloureuse pour Claude, mais en gardant des rapports, qui permettent encore de se revoir amicalement aujourd’hui.
Notre rencontre en 1980 – encore en musique et sous un ciel étoilé en écoutant les Vêpres de la vierge de Monteverdi –
et un nouveau départ, installé dans la petite pièce de l’ancienne écurie du mulet de Lisson, il y a 20 ans.
Il y a tellement à faire – le chemin, la réserve d’eau, défricher les quelques près, reconstruire des murs, et mille choses encore...
Mais petit à petit l’infrastructure avance, et le grand projet de la replantation des vignes de Lisson prend forme. Je suis les cours à l’école de viticulture de Béziers, je les rend le soir à Claude, en digest, et lui potasse les livres, qui rentrent dans notre bibliothèque.
Il faut défricher la colline – un an avec débroussailleuse et tronçonneuse, derrière le bulldozer, à tirer des cailloux, des racines – finalement la plantation. Les copains donnent un coup de mains, l’album photo en témoigne.
Mais c’est Claude, qui porte tout, c’est son rêve, de faire un grand vin ici et de pouvoir un jour vivre ainsi des fruits de sa terre, pour ne plus construire que chez les autres, redevenir paysan et devenir vigneron.
Les chantiers, qu’il a faits, pour financer cette « danseuse », comme nous appelons notre colline, ont laissé des traces dans le pays :
Il y a les amis, qu’il a formé au travail de la pierre, et qui continuent aujourd’hui seul dans son esprit, comme Kakik et Pomme. Il y a les clients, pour qui il a travaillé, et qui sont presque tous devenu des amis – il n’aurait pas pu travailler longtemps pour ou avec quelqu’un qui ne partageait pas son sens du travail bien fait, de la honnêteté et du sens de responsabilité jusqu’au bout pour son œuvre.
Il y a les traces de ces constructions – on reconnaît sa « griffe » dans chaque mur. Cela va rester.
Il y a l’amitié avec Geneviève et Bernard Fruchier, qui nous accompagneront si fidèlement pendant ces dernières années, et qui m’accompagnent tout le longue ces derniers jours.
Il y a l’aventure avec notre amie Lavinia Snelling, musicienne amoureuse du Prieuré, trop top décédée, qui nous a entraînés avec elle dans la création de l’A.M.V.J.O. et l’organisation des concerts au Prieuré. Nous partagions l’amour de ce lieu magique, de la musique et du bon vin.
Il y a tous les merveilleux moments en musique et les plaisirs des rencontres avec les musiciens et avec d’autres mélomanes, que cela nous a procuré.
Il y avait notre mariage, déjà en 1989 – la grande fête à Lisson – qui réunissait les amis venue des horizons différents : les anciens de la Chorale d’Olargues avec ses chefs Jean Coustou et le commandant Dupont, les artisans, les amis vignerons, les amis, comme nous, parfois traités de « hippies », les amis anciens clients, un mélange assez international, et bien sûr la famille – Rudel, plus nombreux, et Rutz, père et mère. Ils s’en souviennent tous.
Les années passent vite maintenant. La vigne pousse, sa culture s’avère aussi difficile qu’attendue. Il faut se battre avec la sécheresse, les mauvaises herbes, la pente, les pluies torrentielles, la bêtise humaine des jaloux,
finalement, quand il y a les premiers raisins, les sangliers et encore en 2000 le reste de la sauvagine. C’est longue, c’est usant, il y a un poument, qui claque, le dos, qui prend ses coups, mais il y a aussi l’immense joie, de réaliser son rêve, à petit pas, mais continuellement.
Les vignes poussent, les journées de Béziers Oenopole nous permettent, de rencontrer les vignerons, qui sont déjà avancés sur le chemin de la qualité, c’est encourageant. Il y a d’autres, qui croient comme nous, que dans le vin, c’est n’est pas que la culture de la terre, qu’on doit respecter, mais aussi une culture de l’esprit, l’expression des hommes libres aux service de la terre et à la quête de quelque chose de sublime, qu’on peut et doit partager.
Faire le vin, que nous aimerions boire et le partager avec nos amis – c’est le but, et les amis que nous avions déjà et ceux que nous avons rencontrés sur ce chemin en témoignent, que nous étions en bonne voie vers ce but.
Les vins de Claude sont comme lui, droits, riches, chaleureux, au début parfois un peu austères, mais tellement généreux une fois ouverts, pourvu qu’on leurs laisse le temps de respirer, et plein de promesses pour leur avenir.
Il ne les verrait plus vieillir, nous ne le verrons plus vieillir.
Je pense, que chacun de nous garde de lui le souvenir d’une de ses multiples facettes, de ces multiples bouts de rêve, de son sourire derrière ses lunettes et sous sa barbe, qu’il fallait aussi découvrir, mais qui était là si souvent.
Nous avons toujours dit, que l’important ce n’est pas, d’arriver, mais c’est d’être sur le bon chemin, de se réjouir de chaque jour sur cette terre, qu’on passe ensemble avec les êtres qu’on aime et de faire ce qu’on a choisi de faire librement.
Claude était trop insoumis, trop anarchiste, pour faire parti d’un groupe, sa droiture dans la poursuite de ces principes ne pouvait pas plaire à tout le monde et froissait plus qu’un.
Mais il a vécu comme homme libre et il est mort dans une situation dont il connaissait les risques, en rendant service à une amie et en partageant jusqu’au dernier moment la richesse de son savoir faire avec d’autres. Il y allait avec joie.
Cette fin est cruelle, bête, comme tous les accidents, elle nous fait tous souffrir – mais nous croyons, que lui n’a pas eu le temps de souffrir.
Les parents et amis, qui l’ont vu une dernière fois mort sur son lit, ont tous vu et senti encore sa présence, sa force, sa sérénité, sa générosité,
tout ce qui faisait sa beauté se voyait encore sur son visage et sur ses belles mains, qu’il n’a jamais menagé et qui savaient bâtir tant de belles choses, tenir si délicatement un beau verre, souligner ses gestes et caresser.
Merci à vous tous d’être venue, pour passer ce dernier moment ensemble dans ce lieu, qu’il a beaucoup aimé et d’écouter les offrandes musicales des amis musiciens, qu’il aimait écouter et avec qui il a pu chanter.
Ainsi dans nos cœurs il sera avec nous
Lisson / Prieuré de Saint Julien d’Olargues, fin Février 2001