Il n’est plus possible de continuer à diminuer les coûts, sauf à refuser d’assumer l’offre de soins actuelle.
«Je quitte les urgences.» Nous lisons l’humble et fragile témoignage avec la rage au ventre. «J’ai travaillé 70 heures par semaine pendant trente ans, je pense qu’on a le droit de m’écouter.» Celle qui parle porte en elle des âges de combat dans un écrin de tristesse. «Plus ça allait, plus les urgences étaient chargées, et plus les responsabilités devenaient trop lourdes pour un seul médecin, la nuit.» Les vérités relatées ici ne se découvrent que par pur esprit de responsabilité. «On nous a dit qu’on ne pouvait pas demander des médecins supplémentaires et qu’on nous enverrait une commission pour vérifier.» Quand l’injustice se mêle à l’incompréhension. «Mais ils ne sont jamais venus voir comment cela se passait…» Elle s’appelle Marie-Anne Babé. Lassée, exténuée et surtout révoltée, elle vient de démissionner de son poste de chef du service des urgences du centre hospitalier de Roubaix, 85000 patients par an. Elle réclamait une hausse des effectifs. Elle n’a pas été écoutée. Alors son monde
a vacillé. Pas la haute idée qu’elle se fait de son métier…
Dans le flot des futilités médiacratiques qui nous éloignent de l’essentiel, l’information est, hélas, un peu passée inaperçue. Pourtant, la fracassante démission de cette femme de cinquante-neuf ans pourrait à elle seule nous servir d’illustration emblématique. Allons précisément à l’essentiel. L’ampleur de la catastrophe dans nos hôpitaux tient en effet en quelques chiffres. Des chiffres qui donnent le vertige, tant ils paraissent invraisemblables… En 2013, 20 000 emplois devraient être supprimés. En 2014, 15000 de plus. Vous avez bien lu: 35000 postes sacrifiés en deux ans! Pour comprendre la profondeur de la saignée, ajoutons que, en cinq ans, ce seront ainsi pas moins de 50000 postes qui auront été rayés de la carte hospitalière. Autant de moyens en moins. Autant de travail en plus. Autant de stress et d’heures cumulés. Autant de drames à éviter. Parce que l’hôpital, c’est du sérieux. Parce que la santé, c’est une priorité absolue. Ne plus être à la hauteur d’une des missions les plus sacrées de notre société – l’égalité des soins et les moyens pour atteindre l’excellence – devrait être considéré comme un scandale de la République!
Dans ce secteur aussi, qui meurt à petit feu des politiques austéritaires, un vrai espoir avait surgi des urnes, au soir du 6 mai dernier. La nouvelle ministre de la Santé, Marisol Touraine, voulait ouvrir «le chantier de l’hôpital» et ne manquait pas de formules rassurantes. «Je ne vois pas en quoi un système de santé serait plus fort si l’hôpital est plus faible, estimait-elle. Consacrer les valeurs de service public, c’est d’abord dire que l’hôpital n’est pas une entreprise.» Bravo pour les engagements philosophiques. Souhaitons que ce ne soit pas là serment d’hypocrites! Car les faits sont têtus. Récemment, dans une novlangue sociale-libérale typique, Jean-Marc Ayrault a parlé de la santé en souhaitant que le déficit de la Sécurité sociale «reste dans les clous». Vocabulaire déplacé. Vision limitée. Rien à voir, en tous les cas, avec cet enjeu de civilisation qu’est la médecine et qui nécessite d’en finir, vite, avec l’alternative suivante: ou défendre son hôpital au détriment de la Sécurité sociale, ou défendre la Sécu au détriment de son hôpital… Sans changement de logique, ce service public majeur est bel et bien en danger. Il n’est plus possible de continuer à diminuer les coûts, à faire des «économies de personnels», sauf à refuser d’assumer l’offre de soins actuelle. Et pendant ce temps-là? Il est prévu d’octroyer 500 millions d’euros de crédits d’impôts aux cliniques privées. Devinez: pas un centime pour les hôpitaux publics…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 25 février 2013.]