L’œuvre toute entière de Christine Angot, travail ambitieux sur l’autofiction, ne parle que d’elle-même. L’auteur sujet de son propre livre examine et analyse les moindres détails de ses émotions et relations amoureuses. A chaque nouvel opus, elle palpe son âme et ausculte son corps avec une ferveur monomaniaque.
Rendez-vousrelate par le menu ses liaisons successives avec un banquier d’affaire obstiné, autoritaire, jouisseur, vulgaire et un comédien de théâtre talentueux, alcoolique, insaisissable. Le chassé croisé entre les deux amants débute par une première entrevue hasardeuse avec le banquier plus âgé, chauve, physiquement ingrat à propos duquel Christine Angot hésite entrefascination et répulsion, occasion pour l’auteur d’esquisser une étude de mœurs et d’apporter un nouvel éclairage sur l’inceste avec le père. Avec une précision clinique, pas dépourvue d’une certaine complaisance, elle détaille leurs relations sexuelles jusqu’à la nausée.
L’acteur entre dans sa vie par la ferveur qu’il ressent envers l’écrivain. De l’admiration réciproque naît un besoin d ‘échange compulsif où les mots, la parole, préambules romantiques finissent par prendre le dessus sur la relation charnelle. Eric ne peut surmonter le hiatus entre les écrits de l’auteur et la réalité de sa présence physique. Le comédien se construit à travers les textes qu’il interprète, lecteur avide par essence. Christine Angot décide de rédiger un texte qu’ils interpréteront sur une scène. C’est leur histoire qu’elle écrit heure par heure et qu’ils matérialisent sur les planches prenant le public à témoin de leur intimité dans le trouble d’une puissante mise en abymes. Le livre s’écrit en même temps qu’il se vit. Après la représentation théâtrale de leur unique nuit commune, Eric s’éclipse.
La seconde partie du roman est une suite de rendez-vous ratés et d’excuses improbables, toute la stratégie d’évitement du comédien poursuivi par les ardeurs amoureuses de l’auteur impuissante devant le refus d’établir le contact. Christine Angot explore l’intimité de l’amour à sens unique. Et l’on sourit parfois devant le comique des situations, l’influence de la téléphonie sur les relations sentimentales, les messages sur répondeur sans réponse, les sms perdus dans les ondes.
Mélange de fureur et d’humour, l’auteur rumine, ressasse les moindres instants restreignant la distance entre l’écriture et la vie, se laisse submerger par le flot du désespoir, amour prosaïque qui met à jour les fragilités, les petites laideurs du concret, expulse l’écho de cette rumeur intérieure teintée d’une pudeur nouvelle, frôlant le kitsch sentimental avec une humilité bouleversante.
Le style reconnaissable entre tous est précis, nerveux. L’écriture est une pulsion physique assumée qui se passe de descriptions visuelles, une certaine forme d’exhibitionnisme littéraire où la crudité des corps et des sentiments ne nous épargne pas la médiocrité du quotidien. L’architecture maîtrisée du roman contredit la désinvolture assumée de l’auteur. Dans sa poursuite de l’être aimé, elle laisse affleurer le passé avec la résurgence de personnages récurrents. D’une plume toute en tension, elle évoque le plaisir et le sordide avec une provocation limpide. Rendez-vous est le roman de la non-réciprocité, du doute amoureux, doute que seule la parole pourra lever.
Rendez-vous de Christine Angot - Edition de poche Folio - prix de Flore 2006