Si de nombreuses incertitudes planent toujours sur le contenu du projet de réforme de la caisse de compensation au Maroc, il n’en demeure pas moins que le gouvernement semble privilégier la piste de la distribution d’aides directes aux couches les plus défavorisées. Mais pour qu’une réforme soit réussie, il faut qu’elle soit socialement équilibrée. Or, jusqu’à nouvel ordre, il semble que la classe moyenne sera la grande oubliée de cette réforme. Serait-elle si résiliente que ça ?
Au-delà du débat sur la définition de la classe moyenne, si le gouvernement compte appliquer la décompensation, c’est-à-dire la réduction des subventions, tout en ignorant la classe moyenne, il fait fausse route car il en sous estime l’impact sur cette couche sociale. D’abord, parce que la part des dépenses alimentaires dans son budget est loin d’être minime puisqu’elle est de 44%. Cela signifie que la décompensation de la farine et du sucre ne laissera pas son pouvoir d’achat intact. Ensuite, les dépenses d’énergie et de transport constituent le deuxième et le troisième poste dans le budget de la classe moyenne, avec des parts respectives de 21% et 9%, soit 30% au total, ce qui implique que son pouvoir d’achat sera doublement impacté. Directement à travers l’augmentation de la facture d’électricité et du transport, et indirectement puisque le coût du transport fait partie intégrante du coût de revient de tous les produits et services. Déjà la récente décompensation des prix des hydrocarbures a fait augmenter les prix et il est clair qu’une nouvelle décompensation nourrira les tensions inflationnistes, renchérissant ainsi le coût de la vie pour ces ménages. De l’aveu même du ministère des affaires générales et de la gouvernance, le taux d’inflation pourrait grimper à 7%.
Enfin, pendant que la classe moyenne verra son coût de la vie augmenter, elle continuera toujours à payer le coût de la défaillance des services publics. Ainsi, quand ces ménages veulent éduquer leurs enfants, ils payent pour les placer dans des écoles privées ; quand ils veulent se déplacer, ils prennent des crédits pour acheter leurs voitures ; quand ils veulent se soigner, ils payent des cliniques privées ; et quand ils veulent se loger, ils s’endettent, car ils sont trop riches pour le logement social et pas assez riches pour le moyen standing. C’est injuste pour la majorité de la classe moyenne car non seulement elle est obligée de payer des impôts pour des services qu’elle n’utilisera pas, mais elle doit s’endetter pour vivre dignement. Dans cette configuration, il est évident qu’une décompensation va impacter négativement le pouvoir d’achat des ménages de la classe moyenne. Particulièrement le niveau inférieur et intermédiaire de la classe moyenne, c’est-à-dire les ménages gagnant entre 5000 et 15000 DH, qui glissera dans la classe modeste. Autrement dit, on aboutira à une paupérisation d’une partie de la classe moyenne.
D’aucuns estimeront que les ménages de cette couche sociale ne pourraient prétendre à un soutien de la part du gouvernement suite à la décompensation. Mais, il faudrait rappeler ici que, contrairement à la classe pauvre, la classe moyenne, non seulement paye des impôts, mais ne profite pas entièrement de la contrepartie en services publics. Donc si le gouvernement veut être juste dans sa réforme de la caisse de compensation et éviter de pénaliser la classe moyenne, de deux choses l’une : soit il améliore la qualité des services publics pour éviter aux ménages de cette classe de payer deux fois ; soit il faut la dispenser de payer une partie des impôts pour des services qu’ils n’utilisent pas.
Le soutien à la classe moyenne, dont les modalités peuvent être discutées, n’est pas justifié uniquement socialement, mais aussi économiquement. Étant la locomotive de l’économie nationale, la dégradation de son pouvoir d’achat, suite à une éventuelle décompensation, entrainera inéluctablement un recul de la consommation, donc de la demande interne, et in fine un ralentissement de la croissance marocaine. Et qui dit moins de croissance, dit plus de chômage. Ça sera la triple peine pour la classe moyenne : moins de pouvoir d’achat, des services publics médiocres et cerise sur le gâteau du chômage. Dès lors, le gouvernement Benkirane risque de revoir un remake des fameuses émeutes de juin 1981…
En conséquence, la réforme de la caisse de compensation qui, rappelons–le est inéluctable, ne peut se réduire à un « arrosage » de la classe la plus démunie. Au contraire, elle doit concilier à la fois la rationalisation des dépenses publiques et la préservation de la dynamique de la croissance portée par la classe moyenne.
Hicham El Moussaoui, maître de conférences à l’Université Sultan Moulay Slimane et analyste sur LibreAfrique.org, le 25 février 2013.