Tromperie (de Philip Roth)

Publié le 25 février 2013 par Ceciledequoide9
Bonjour aux fidèles
Bonjour aux infidèles
Bonjour aux zotres
Tromperie est le 6e roman de Philip Roth que j'ouvre (j'avais vite abandonné Portnoy et son complexe et La contre vie), le 3e que je termine et le 2e que je termine en ayant apprécié ma lecture (j'avais détesté Le sein). Avec quelques réserves toutefois contrairement à La tache que j'avais adoré sans restrictions.
4e de couverture
Ni récit ni texte suivi, ce livre se compose d'une succession de dialogues entre Philip, romancier américain fixé pour un temps à Londres, et diverses femmes : sa maîtresse, son épouse et d'autres personnages féminins moins réels, parfois même rêvés.
Toutes parlent par la voix de l'auteur, Philip, l'alter ego de Philip Roth. Aucun fil conducteur ne relie ces conversations souvent lapidaires, sinon l'écho lancinant des obsessions habituelles de Roth - le sexe, l'adultère, la fidélité, l'antisémitisme et la littérature -, le vrai sujet étant l'exploration des recoins obscurs des vies et des âmes, des confins flous entre le réel et l'imaginaire.
Une investigation empreinte d'un mélange d'humour et de gravité qui demeure dans la veine de L'écrivain des ombres et La contrevie. Tromperie est un authentique roman d'amour, pétillant de verve et d'esprit, débordant d'émotion et d'érotisme, qui confirme l'inlassable inventivité de l'auteur.
Mon avis
Je pense que le 4e de couverture évoque bien un des reproches que je ferais à ce livre : son manque de construction aboutie qui donne à l'ensemble un aspect dillétante et superficiel alors que certains des thèmes abordés, notamment celui du titre, me semblent tout à fait passionnants et auraient mérité selon moi un traitement plus fouillé, plus analytique. Ici, on reste dans l'instantané. Celui de la mémoire ou du récit (où placer dans ce texte le curseur entre fiction et réalité ?) d'une part, celui des dialogues d'autre part.
Ils sont justement l'objet du 2e reproche que je ferais à ce livre : l'artificialité des dialogues qui pour la plupart sont particulièrement verbeux, ampoulés ou nombrilistes voire tout cela à la fois. Je défie quiquonque d'avoir eu un jour une discussion qui ressemble à celles relatées par Roth.
Quant au 3e reproche que je ferais à ce livre, il explique pourquoi je n'ai pas achevé deux de mes lectures de Philip Roth : le fait de tout ramener (ou tout au moins de ramener beaucoup de choses) au judaïsme de l'auteur ou de ses héros ainsi que les interminables considérations pour ne pas dire ergotages sur la condition juive. Cela m'agace, non pas que je nie le fait que les juifs ont beaucoup souffert et ont eu (et ont encore) bien des sujets de récriminination à travers les siècles mais je n'aime pas la manière dont Roth traite le sujet et le nivelle en confondant simples anecdotes et faits gravissimes.
Je trouve son systématisme à se définir comme juif obsessionnel, sans intérêt (car sans portée ethnologique) et contre productif dans ce qu'elle a de "victimisation" et, au fond, bien souvent je ne vois justement pas en quoi ses propos sont spécifiquement juifs et je ne comprends pas pourquoi il en réfute le caractère parfois universel.
Je ne pense pas que chacun de mes gestes, chacune des réactions de mes interlocuteurs/trices est conditionné par le fait que je sois une femme, que je sois occidentale, blanche, catholique par culture, athée par conviction, de droite par inclinaison ou que sais-je encore... Je crois certes qu'on est trop souvent réduit à une catégorie que celle-ci soit sexuelle, religieuse, sociale, politique ou autre mais pas systématiquement. La forme de communautarisme exacerbée que je ressens dans l'oeuvre de Roth me déplait. En cela, je trouve ses propos excluants et ma motivation à poursuivre ou non un de ses livres dépend justement du degré d'exclusion que je ressens. Il était nul dans La Tache où le propos était ailleurs, justement dans l'absurdité de la classification, des impératifs qu'elle impose en matière de politiquement correct et du rejet tout aussi absurde qui en découle. C'est pourquoi j'ai adoré ce roman.
Dans Tromperie, la question des rapports homme/femme et des rapports de l'auteur à son oeuvre d'une part et des lecteurs à l'oeuvre d'autre part, transcendent heureusement ce sujet et c'est cette vision là qui m'a intéressée même si je n'ai pas toujours apprécié la manière dont elle était exprimée (cf. ce que je dis des dialogues).
Quelques liens
Citations sur Babelio
D'autres extraits de Tromperie sur ce blog
Ma critique de Professeur de désir
Quelques extraits
A propos de la fin d'une liaison impossible (P.149)
- Tu connais le poème de Marvell ? (...)
"C'est de l'impossibilité qu'il fut engendré par le désir." Ce poème-là.
- Je croyais que c'était "désespoir" - engendré par le désespoir.
- C'est ça. C'était ça. Les deux.
Au cours d'une dispute avec sa compagne à propos du caractère réel ou fictionnel d'un personnage féminin du livre
Certainement pas. L'une est une silhouette esquissée dans un carnet au fil de conversations, l'autre estg un personnage très important empêtré dans l'intrigue d'un livre  complexe. Je me suis imaginé, extérieur à mon roman, en train de vivre une aventure avec un personnage à l'intérieur de mon roman. Si Tolstoï s'était imaginé amoureux d'Anna Karénine, si Hardy s'était imaginé mêlé à une aventure avec Tess - écoute, je suis mes inclinaisons là où elles me  mènent - Ah, et puis merde. Que suggères-tu, que je me surveille ? Que je ne cède pas à cette sorte d'impulsion de peur de... peur de quoi ? D'une opinion éclairé encline à la lascivité ? Eh bien ni par toi ni par personne d'autre, je ne serai jamais censuré de cette façon ! (P.176)
Sur le même sujet
C'est l'histoire d'une imagination en proie à l'amour.
- Mais si un jour il venait à être publié plus ou moins tel que, libéré de toutes interprétations, etc., les gens n'iront pas savoir que c'est tout simplement la petite histoire d'une imagination en proie à l'amour, pas plus que moi.
- En général ils ne le font pas, alors quelle différence ? J'écris de la fiction, on me dit que c'est de l'autobiographie, j'écris de l'autobiographie, on me dit que c'est de la fiction, aussi puisque je suis tellement crétin et qu'ils sont tellement intelligents qu'ils décident donc eux ce ce que c'est ou n'est pas. (...)
- (...) et si ça m'humiliait ?
- Comment pourrais-tu être humiliée par quelque chose qui n'est pas ainsi ? Ce n'est pas. C'est loin d'être moi - c'est un divertissement, un jeu, c'est une parodie de moi-même ! Moi qui me ventriloquise . Ou peut-être est-ce plus facile à comprendre présenté de l'autre façon - tout ici est falsifié sauf moi. Peut-être les deux. Mais des deux façons ou d'une seule, cela signifie mon chou, que c'est homo ludens !
- Mais qui pourrait savoir ça, à part nous ?
- Ecoute, je ne peux pas vivre et ne vis pas dans un monde de retenue, pas en tant qu'écrivain en tout cas. (...) la retenue, malheureusement, n'est pas faite pour les écrivains. (P.183)
Conclusion
Un roman qui peut agacer par ses côtés nombrilistes et par l'intellectualisme affecté des dialogue mais qui reste intéressant à bien des égards, surtout pour le traitement du rapport d'un auteur et de son entourage aux aspects fictionnels ou non d'un roman. Roth est paraît-il le plus grand écrivain américain vivant. Peut-être. Qui suis-je pour parler de façon circonstanciée de littérature US ? Cela dit, en tant que lectrice, cela ne m'empêche pas de trouver ses livres excessivement surcôtés.