Ce qui me retient ?
Je me fiche bien du « qu’en dira-t-on » de la rue, des inconnus, des amis ou de le famille.
En revanche, je redoute celui du travail. Les mentalités ont beau évoluer, lorsqu’on travaille avec des adolescents, il demeure des attentes, des exigences auxquelles on ne peut se soustraire. Intégrité, sérieux, exemplarité… Respectabilité…
Mais en quoi serais-je moins respectable et apte à donner « le bon exemple« si je me laissais aller à exprimer librement ma personnalité ?
En quoi trahirais-je ma « mission« à enseigner et à éduquer si j’écoutais mes envies vestimentaires, capillaires, si j’osais complètement céder à cette forme d’art corporel qu’est à mes yeux le tatouage ?
Fondamentalement en rien. Je suis parfaitement convaincue de la légitimité de ma démarche, de mes envies. Je suis prête à les assumer et pourtant je ne veux pas décevoir, je redoute que cela puisse choquer au sein de ma profession.
Elles sont bien timides et discrètes mes fleurs de cerisier. (Désolée pour la qualité de la photo et du détourage…) Excepté moi, personne ne les voit, personne ne soupçonne leur existence… Je vais sans doute compléter ce dessin, progressivement, en traversant le dos, comme une diagonale fleurie de l’épaule à la taille du côté opposé. Cela prendra certainement du temps. Question de réflexion, de financement, de cicatrisation…
Que se passerait-il si j’osais aussi le tatouage sur la cheville, les jambes ? Si j’osais porter des bagues d’encre et non d’or et de diamants… Si j’osais encrer mon (petit) biceps droit, mon grand pectoral gauche, mes jumeaux, le long péronier latéral… Je ne me mettrais pas pour autant à parler de façon vulgaire, je ne me mettrais pas à bâcler mes préparations, mes progressions, je ne perdrais instantanément toutes les connaissances scientifiques que j’ai acquises, je ne deviendrais pas subitement toxico ni dépravée… Je ne perdrais pas de vue mon envie de faire progresser mes élèves, des les rendre curieux, de leur donner envie d’apprendre, de comprendre, de découvrir… Et pourtant…
Pourtant je reste partagée, tiraillée entre le désir de couvrir mon corps comme je l’entends, de disposer de mon image comme bon me semble et le besoin de me conformer à ce que notre société semble attendre de moi et de ce que mon métier représente.
Pour l’instant, j’essaie de concilier au mieux les deux.
Mes tatouages restent faciles à dissimuler.
Même s’ils ne demandent qu’à pouvoir s’exprimer librement…
Mes bien inoffensifs tatouages. Cette partie de moi en mémoire de ma grand-mère, en souvenir d’une guérison, en promesse de jours meilleurs.
Si j’étais un Homme courageux, peut être m’autorisais-je plus facilement à faire ce que je souhaite de mon corps et de ma peau…
Source illustration : New Skin par Rick Numm