Ryoko apprend l'horrible nouvelle : son petit ami, Hiroyuki s'est suicidé, sans aucun présages ni signe de mal-être. Elle découvre à ses funérailles l'existence d'un jeune frère, Akira, et d'un passé dont elle ignorait tout. Mais qui était cet homme qu'elle aimait ? Sous les non-dits et les mensonges, elle enquête pour tenter de concilier ses souvenirs du défunt avec des éléments factuels.
Exhumer les souvenirs pour faire son deuil
La veille de son suicide, il lui a offert un parfum de sa composition, appelé « Source de mémoire », un testament mystérieux lié à un passé où Ryoko est une étrangère. Avec Akira, le petit frère, elle retrouve quelques fragments de phrases étranges sur une disquette. Et ce sont tous les éléments dont elle dispose pour essayer de reconstituer la mémoire d'Hiroyuki, pour écarter les rideaux des mensonges et de la réalité déformée pour enfin comprendre cet homme hors norme.
Outre qu'il était un nez d'une sensibilité presque absolue, c'était aussi un maniaque du classement, capable d'organiser le quotidien avec une précision et grand sens pratique. Sa perception du monde passait par le prisme des nombres et des mathématiques, utilisés de façon quasi-systématique pour appréhender les choses. Pourtant, malgré son génie et son esprit scientifique, c'est le portrait d'un homme très chaleureux et aimant qui se dégage peu à peu. Chaque indice permet à Ryoko de se sentir plus proche du défunt, jusqu'à accomplir un voyage à Prague où, dans un lieu mystérieux, elle trouveras des pistes, des propositions plutôt que des réponses. Elle trouvera surtout la force pour survive, malgré le vide, malgré l'absence.
La folie reste derrière la porte mais l'étrange s'invite à pas de loup...
Encore une fois, Ogawa écrit sur la douleur de vivre, indicible, sur les obsessions et les cadres que l'on se fabrique pour tenter d'avancer dans cette existence insensée, où la communication avec les autres obéit à des règles floues et changeantes, où il est si difficile de comprendre et exprimer les élans de son cœur. Ses thèmes de prédilections sont de nouveaux présents (classement, collections obsessionnelles, incapacité à s'exprimer...) pourtant, sans jamais être redonnant avec ses autres romans. Son écriture est d'une retenue presque prude, cependant, derrière la tempérance on perçoit le tumultes des émotions, toujours à fleur de peau, prêtes à jaillir et à tout emmener si on retire les verrous mis en place avec minutie.
J'ai toujours l'impression que dans les romans de Yoko Ogawa, la folie menace, toujours présente comme un fantôme, sans jamais se manifester dans le monde physique. Dans Parfum de Glace, la mère de Hiroyuki et Akira est l'élément déséquilibrée, et elle a transmis à son fils génial une partie de ses failles. Pourtant, Ryoko s'adapte aux perturbations, toujours avec beaucoup d'humanisme et d'amour. C'est pour cet amour, profond sans être ostentatoire, que j'aime tant l'oeuvre d'Ogawa.
Malgré toute la tristesse du sujet - le deuil et la découverte de son impuissance et de son ignorance - le sentiment qui ressort est positif, vivant. Elle a la faculté de raconter des drames sans tomber dans le mélo ni le sordide. Elle passe par la poésie et l'étrange pour terminer son enquête, en incluant un élément fantastique qui donne à son histoire profondeur et magie.
Yoko Ogawa et comme Haruki Murakami, une source intarissable de surprise et de plaisir. Je songe que je devrais lire d'autres auteurs (ils sont nombreux à attendre sur mes étagères), et pourtant, je reviens sans cesses sur ces deux-là avec la certitude de ne jamais être déçue et que la lecture sera fascinante.
Un autre livre d'Ogawa dans l'étang :
- La formule préférée du professeur
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