(Ma participation à l’atelier d’écriture qui consiste à illustrer la photo ci-dessous)
Mes souvenirs sont diffus. J’ai enfoui mes racines au plus profond de ma conscience. Ne pas détoner. J’ai oublié des choses avec le temps, celles qui sont en-deçà. De celles qui ressurgissent dans des habitudes, des réactions, ou des gestes et croyances sans qu’on ne le veuille.
Arrachée à la terre, j’ai cherché un moyen de la rejoindre.
Très loin, j’ai revu l’agitation des rues, des marchés et des terrains de jeu. Une enfance passée dans un autre pays, dans un autre temps, dans une autre vie.
Il a fallu m’ancrer.
Très rapidement, j’ai voulu assimiler ce que j’avais oublié. J’ai coloré mes plats avec les épices, décrivant des arabesques de senteurs en libérant les arômes. Mais ce besoin vital satisfait, mon instinct m’a poussé à suivre d’autres intuitions, celle dictées par les gestes. Dans la créativité, j’ai voulu exaucer mes émotions.
J’ai commencé le long cheminement en moi-même pour me connaître. Arpentant les sinuosités et les fibres de mon corps, c’est son intériorité que j’ai défrichée. J’ai renforcé mes cuisses, je me suis plantée au sol. Les gestes semblaient naturels. Ils me permettaient d’exprimer dans un langage plus juste ce qui avait été enseveli dans les plis de ma mémoire et dans les recoins de mon corps.
Pourtant souvent l’image d’une fillette, en penjabi orange et violet (ces associations bariolées qu’on ose et qu’on ne voit que là-bas) qui court dans les allées d’un marché tout en circonvolutions me revient à l’esprit.
Souvent dans des situations qui n’ont aucun rapport, en me rattrapant à la barre du métro lorsque la rame a un mouvement d’accélération, quand j’ouvre la porte au cinéma, quand je me saisi de mes couverts au restaurant.
Elle court en riant, insouciante. Les allées s’assombrissent à l’approche de la nuit mais restent réchauffées par le soleil, qui les a inondées la journée durant. Les marchands, elle les connait : les frères qui vendent les fruits et légumes qu’ils s’amusent à empiler en pyramides vertigineuses, les vendeuses de fleurs qui sentent aussi bons que leurs pétales multicolores, la vieille femme ridée perdue au milieu des gousses d’ail qui semblent repousser pour l’éternité le mauvais œil, les femmes et leurs huiles parfumées, leurs pigments de couleur disposés en amas de poudres colorées.
Pour l’heure, j’ai récupéré mon bagage sur le tapis roulant et je l’ai mis dans le chariot que j’ai commencé à pousser.
Elle rit en saluant tout le monde. Elle croque dans un gâteau offert son ami pâtissier, et le miel en jaillit en ruisselant le long de sa main et sur son poignet.
Une bouffée de chaleur, d’humidité et de parfums caractéristiques m’a saisie. Se sentir à sa place, c’est là une sensation unique.