Sur une embarcation de fortune se trouvent deux rescapés d’un naufrage. L’un d’entre eux, ayant ces dernières années régulièrement grossi, pèse 200 kilos et ne peut pas ramer. Ayant autorité sur son compagnon, il délègue cette attribution à cet homme de 50 kilos ayant suivi, au cours de la décennie passée, un régime amaigrissant.
Les naufragés disposent bien d’une caisse de vivres, mais elle constitue le lest qu’il faut lâcher car le frêle esquif risque de chavirer dès lors qu’un poids supérieur à un niveau estimé à 250 kilos lui sera durablement imposé. Pourtant il faut, pour ramer, que l’homme maigre prenne des forces. Afin de faire fonctionner a minima la « machine », les hommes ouvrent, avant de la jeter par dessus bord, la caisse de nourriture et se sustentent... tous deux. Le maigre prend ainsi deux kilos, son comparse un seul, et l’embarcation chavire. Avant de se noyer, le plus gros dit à l’autre : c’est de ta faute, car les deux tiers de la cause du naufrage t’incombent.
Yann Le Meur
Commentaire:
Ce conte a été inspiré par la récente analyse, mathématiquement exacte, que Monsieur Eric Woerth, ministre du budget, a proposé pour expliquer la dérive des comptes publics en 2007 par rapport aux prévisions. Il a, en effet, mis en avant que les deux tiers de ce dérapage de 0,3 point de PIB étaient imputables aux collectivités locales.
En recherche d’une contre-analyse économique et mathématique, Y. Le Meur s’est finalement tourné vers la littérature pour traiter cette question sophistiquée sous la forme d’un "conte public".
On peut difficilement ne pas penser au cas des collectivités locales. Elles sont largement moins endettées que l’Etat alors qu’il leur incombe de plus en plus d’investir et de répondre aux besoins sociaux. Après un désendettement régulier constaté dans la dernière décennie dans les budgets des collectivités locales, quand l’Etat s’endettait non moins régulièrement, elles ont entamé récemment un processus de réendettement grandement destiné à financer l’augmentation de leurs investissements.