Il s'est éteint le 22 février dans le petit village de Grassau en Bavière. Discrètement, comme il l'était naturellement malgré une carrière dont on mesure aujourd'hui la grandeur. Wolfgang Sawallisch était un chef régulier, travailleur, discret, mais présent, mais surprenant aussi. Sa régularité nuisait un peu à sa réputation, notamment à la tête du Bayerische Staatsoper de 1971 à 1992 où il était de bon ton à Paris de dire que c'était un Kapellmeister, sorte de garant de qualité sans grand génie. On l'a vu à Bayreuth de 1957 à 1962 où il a laissé des enregistrements de référence, on l'a vu à Hambourg, dont il a dirigé l'opéra pendant dix ans avant Munich, il a aussi dirigé l'orchestre de la Suisse romande, le Wiener Symphoniker, et comme "Gast" on l'a vu fréquemment à la Scala dont il était un chef de référence pour Wagner (Ring avorté de Ronconi en 1974 ou Meistersinger à la fin des années 1980) ou pour Strauss. Il a fini sa carrière à la tête de l'Orchestre de Philadelphie, une formation qu'il lui allait comme un gant.
A la tête du Bayerische Staatsoper de Munich, il a été directeur musical puis directeur musical et artistique pendant 21 ans. Son portrait trône dans le foyer du théâtre et ce portrait rappelle combien il a personnifié l'opéra bavarois, où il dirigeait régulièrement Strauss, Mozart, Wagner, et surtout où il dirigeait 70 représentations de répertoire à l'année. Quel directeur musical aujourd'hui prendrait un tel engagement? Ainsi donc on avait droit à Sawallisch très souvent dans des représentations très ordinaires du quotidien munichois et il était là. Je l'ai entendu dans Zauberflöte, dans Meistersinger (à Munich et à la Scala) dans Die Ägyptische Helena, Die Liebe der danae, Die Schweigsame Frau, Ariadne auf Naxos, Die Frau ohne Schatten (à Munich et à la Scala), dans Der Fliegende Holländer. J'écoutais son Ring munichois il y a encore quelques jours en m'étonnant toujours qu'on ne le compte pas parmi les références.
Certes, c'est l'exemple même du classicisme mais un classicisme chaleureux, juste, jamais excessif.
On l'a dit, c'était un wagnérien de référence, mais c'était aussi un mozartien. Il dirigeait tous les Mozart à Munich, avec sa probité et sa justesse. Son Mozart n'était jamais ennuyeux, toujours en place et toujours impeccable. Il est resté à l'ombre de ceux qui étaient plus médiatisés et plus célèbres, mais sûrement pas plus grands: depuis qu'il a disparu des podiums, sans adieux spectaculaires, il manque cruellement au paysage musical et combien de fois je me suis dit "là il faudrait un Sawallisch". Il me manquait depuis longtemps et j'ai vécu dans le souvenir profond et marquant de cette Frau ohne Schatten scaligère où il fit vraiment merveille. Mais j'ai souvent adoré aussi ses Meistersinger qui concluaient rituellement le Festival de Munich et où j'allais tout aussi rituellement quand les dates de Bayreuth le permettaient et cela lui allait si bien car lui aussi était un "Meister" au service de l'art allemand.