L’histoire de Madame Bovary, c’est justement l’histoire d’une femme qui voudrait être un personnage romantique – comme dans les livres qu’elle dévore – mais qui n’atteint jamais ce rôle.
Emma s’enferme dans ses romans, elle se bloque face à la réalité et ne sait pas faire la part des choses. Pourquoi trompe-t-elle Charles ? Parce qu’elle désire se rapprocher de ses livres, fuir
son ennui, faire comme les personnages qu’elle admire, être une héroïne à son tour. Mais Flaubert souligne bien le fait que dans la vie, ça ne se passe pas comme cela. Emma est entourée de
personnes comme on en trouve dans la réalité. Rodolphe, c’est un homme à femmes, Léon est peut-être plus proche de ce qu’elle recherche, mais finalement, il se comporte comme n’importe qui à la
fin du roman et la laisse tomber dans sa détresse. Et surtout, une fois qu’elle s’est suicidée, il me semble me souvenir d’une phrase de Flaubert qui précise que ses deux amants, eux, ils dorment
sur leurs deux oreilles pendant qu’elle agonise et rend l’âme. On est vraiment loin de la passion amoureuse et des sentiments brûlants qui désespèrent Emma.
De plus, l’absence presque entière du narrateur nous éloigne d’autant plus du statut « romantique » que pourrait avoir l’œuvre. Flaubert ne s’exprime pas dans le roman, on a toujours le point de
vue d’un personnage, c’est à travers les yeux de ce-dernier qu’on découvre les paysages, les états d’âme… etc. Il n’y a pas d’expression du « je » romantique. Si Flaubert est quelque part dans le
roman, il faut surtout le chercher dans l’ironie, ou encore, dans la scène de l’enterrement d’Emma, lorsqu’on suit les sentiments de Charles. Et puis, les descriptions longues, précises, avec un
vocabulaire très technique appartiennent surtout au mouvement réaliste.
Ce roman est une perle rare. Il est tellement à cheval entre réalisme et romantisme que ça en devient, je pense, régulièrement paradoxal. Pour l’heure, je ne suis encore qu’un petit padawan face
à cette lecture et je me rends compte de sa complexité en rédigeant cet article. A chaque fois que je veux classer Madame Bovary quelque part, mon cerveau trouve un grand « mais » qui
lui-même se fait persécuter par un autre « mais ». Cette œuvre est indéfinissable et j’ai hâte d’avoir mon cours magistral dessus ! (en mars, normalement).