Les volumes 7 à 12 des Romans durs de Georges Simenon viennent de paraître. J'avais effectué, en avril de l'année dernière, un parcours dans les six premiers tomes, publiés à ce moment. Complétons cela sans prétendre à l'exhaustivité, en commençant par un gros roman que l'on trouve dans le volume 7.
Pedigree
Il faut se faire une
raison : on ne lit plus, aujourd'hui, le texte original de Pedigree, le
roman le plus épais de Simenon. La première édition, parue en 1948, avait valu
à son auteur d'être assigné devant les tribunaux par des gens qui s'y étaient
reconnus. Quatre ans plus tard, l'ouvrage fut réimprimé avec des blancs
correspondant aux passages retranchés par décision de justice. La troisième
édition, en 1958, renonçait à cette mise en évidence mais ajoutait une préface
pour expliquer ce qui précède.
Et pour insister sur un
point : "ce texte n'en doit pas moins être considéré comme un roman et je ne
voudrais même pas qu'on y attache l'étiquette de roman biographique."
D'ailleurs, Roger
Mamelin, le personnage principal, né comme Georges Simenon le 13 février 1903,
et dont les parents ressemblent à ceux de l'écrivain, n'a sa première vision
consciente du monde que le livre déjà bien entamé.
Avant cela, le portrait
des familles Mamelin-Peters, les deux côtés bien distincts malgré le mariage
entre Désiré et Elise, s'inscrit dans le cadre liégeois d'il y a un siècle.
Simenon dessine la géographie d'une ville avec ses découpages sociologiques
auxquels on n'échappe jamais.
Ensuite viendra la
véritable formation de Roger, jusqu'à seize ans, jusqu'au choix entre deux
voies divergentes : la période troublée de la guerre et la fréquentation de
camarades douteux l'avaient orienté vers une pose de voyou ; la maladie de son
père le contraint à une tout autre attitude et à retrouver le sérieux qui était
le sien au début de ses études abandonnées entre-temps.
L'ensemble est saisissant
de vérité. Le romancier s'insinue dans les lieux et dans les sentiments. Chaque
personnage possède ses caractéristiques propres, ses inclinations
particulières. L'opposition la plus forte marque les rapports entre le père et
la mère : le premier, toujours satisfait de ce qu'il a, sans désir de s'élever
sur l'échelle sociale ; la seconde, toujours prête aux petites malhonnêtetés
pour amasser l'argent qui lui permettra, un jour peut-être, de devenir une
autre.
Parfois décousu, comme
écrit rapidement au fil de la plume et au hasard des associations d'idées, Pedigree laisse cependant rêveur. Ce souffle romanesque puissant qui empêche
de lâcher le livre malgré ses faiblesses, si Georges Simenon l'avait exploité
dans d'autres oeuvres !