La course sans obstacle des chevaux vers nos assiettes
Bobby Lapointe et son saucisson de cheval
Le Canard Enchaîné du 3 février 2013 – Hervé Liffran
Qui doit contrôler les plats surgelés ? Réponse unanime : les autres !
L’entreprise Spanghero, qui a commercialisé de la barbaque de cheval roumain en lieu et place de viande 100% pur bœuf, était « censée faire partie des usines surveillées de façon attentive » par les services vétérinaires et la Répression des fraudes. Cette confidence faite au « Canard » par un ministre en dit long sur la fiabilité et la fréquence des contrôles effectués par l’État dans l’industrie agroalimentaire.
Cette société, qui transmute le bourrin en bovin, est une filiale de Lur Berri, coopérative basque dirigée par Barthélémy Aguerre, un notable local devenu suppléant du député MoDem Jean Lassalle. Après avoir reçu de Roumanie d’appétissants « minerais » de viande cheval congelée étiquetés « bœuf » (en fait des raclures de carcasses mélangées à du collagène), ces fins gastronomes les ont réexpédiés tels quels au fabriquant de plats surgelés Comigel. Lequel est le fournisseur attitré de Findus, Picard, Auchan, Monoprix… Mais aussi d’écoles, d’hôpitaux et de cantines d’entreprises. Entre-temps, Spanghero a juste pris soin d’apposer sur la bidoche une étiquette portant un code signifiant « transformé en France ».
Spécialités locales
A défaut d’être goûteuse, la recette est fort rentable. Depuis qu’une loi interdit la circulation de carrioles attelées en Roumanie, les abattoirs locaux débordent de viande chevaline et cassent les prix. Le boucher basque a ainsi payé sa barbaque 50% de moins que le tarif du « minerai » de bœuf. sans se poser de questions… Un manque de curiosité qui ne l’a pas empêché de jurer aujourd’hui qu’il a été trompé et de porter plainte contre X…
Les indications fantaisistes de Spanghero ont été avalées sans contrôle par Comigel, qui s’est contenté d’enfourner les pains de viande dans les machines à fabriquer les lasagnes, les spaghettis bolognaise ou les hachis parmentier. Certes, le cheval a une couleur et une odeur particulières. « Mais, vous savez, confesse un professionnel, une fois le « minerai » plongé dans le bain de sauce tomate, on ne voit plus la différence, et, à l’arrivée, que ce soit du cheval ou du bœuf, la lasagne a toujours le même goût. C’est impossible de faire la différence. » Miam…
Avec un bel ensemble, les clients de Comigel se posent en victimes. Auchan se vante ainsi d’avoir une liste de « 500.000 critères qui sont contrôlés ». Manquait juste le 500.001ème ! Système U clame que son cahier des charges imposait aux fournisseurs de n’utiliser que de la viande de bœuf d’Allemagne, de France ou de Bénélux. Mais il s’est bien gardé de contrôler lui-même le contenu des marmites.
Rosbif nerveux
De leur côté, les patrons de Findus hennisent dans la presse que ce sont eux qui ont découvert la fraude, « dans le cadre de contrôles de qualité déclenchés [de leur propre chef] chez Comigel ». « Et l’un des responsables de la société de ruer dans les brancards : « on nous traite comme des coupables, alors que nous sommes des victimes. »
En fait, il a fallu que les autorités anglaises et irlandaises mettent leur grain de sel dans les plats surgelés pour que Findus les goûte d’un peu plus près. A la mi-janvier, les services locaux de la Répression des fraudes découvrent que les steaks vendus chez Burger King et dans une chaîne de supermarchés contiennent 60% de viande de canasson. Un véritable crime de lèse-majesté dans un pays très à cheval sur les principes alimentaires.
Cet incident entraîne aussitôt une ruade du gendarme anglais de la malbouffe (la Food Standards Agency). Mais Findus préfère prendre les devants, en réalisant ses propres tests ADN, et, le 4 février, avertit les rosbifs. Lesquels remontent la filière à bride abattue jusqu’à l’usine Comigel, qui fabrique ses délicieuses spécialités au Luxembourg. C’est d’ailleurs le gouvernement du Grand-Duché – et non Findus – qui décide, le 7 février, d’alerter le ministère français de l’Agriculture. Qui en est resté tout désarçonné…
Contrôles pour rire (Hihihihi!)
Avant d’échouer dans les rayons des supermarchés, les aliments transformés ne sont soumis à aucun contrôle officiel. une simple « obligation générale de sécurité » est imposée aux industriels par une directive européenne de 2001. A la différence des labos pharmaceutiques, – qui doivent au minimum passer l’épreuve, fût-elle une formalité, de la commission d’Autorisation de mise sur le marché -, les produits agroalimentaires ne sont certifiés conformes que par l’entreprise elle-même. Le meilleur juge, non ?
Au cours des dernières années, le gendarme de la consommation (la DGCCRF, pour les intimes) a perdu en moyenne 100 agents par an. Dans 40 départements, les effectifs sur le terrain ne dépassent plus 10 personnes. leur administration, éclatée entre plusieurs services, a reçu de nouvelles missions, et les agents ne savent plus où donner de la tête. Côté agriculture, 696 emplois de vétérinaires ou techniciens chargés des contrôles ont disparu depuis 2007. Quant aux labos d’analyses, ceux-là même qui peuvent déterminer la qualité et la nature des ingrédients, le budget nécessaire à l’entretien de leur matériel a fondu d’un tiers en quatre ans. Pour les fraudeurs, cela fait un effet bœuf.
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