Des libéraux plus ou moins purs-sangs, partisans de la Grande Dérégulation et de la Main Invisible du marché, s'expriment encore.
Cette semaine, ils s'appelaient Hervé Novelli, Grizzly Taylor, Pierre Chapaz ou Jean Arthuis.
Perestroïka
"La France, pays complètement étatisé, fera-t-il un jour sa perestroïka?" La formule émane de Pierre Chapaz, fondateur de la plate-forme Wikio, Net-entrepreneur exilé en Suisse. Il blogue parfois, souvent pour "basher" la France.
Jeudi 21 février dans la soirée, il a commis un nouveau billet pour se lamenter de combien la France lui paraissait foutue: "le spectacle de sa déchéance me fait mal", écrit-il. Suivait une accumulation étrange de faits divers (deux policiers tués par un chauffard récidiviste, un nouveau livre sur les affres sexuels de DSK en 2012) et de faits politiques (nomination de Ségolène Royal, suppression de la journée de carence maladie des fonctionnaires) ou d'évènements macro-économiques (croissance zéro, déficit aggravé à 3,6% du PIB). Le même exilé autoproclamé libertarien s'indigne aussi du prétendu laxisme judiciaire de Christiane Taubira car la Garde des Sceaux souhaite alléger les recours à l'emprisonnement. Il fulmine contre les 450 euros du nouveau contrat d'insertion ("une nouvelle allocation pour 100.000 jeunes par an").
Travail
Pierre Chappaz choisit mal ses inspirations. Il devrait s'interroger sur les choix éditoriaux de nos médias nationaux - par exemple sur leur délirante agitation sur tous les fait divers, un vestige assuré du sarkozysme médiatique.
Leur aveuglement quasi-collectif sur l'impasse reste en effet surprenante. Certains agissent ou commentent comme si ni le Krach boursier de 2008, ni l'overdose de surendettement privé, ni la crise du pouvoir d'achat, ni l'épuisement des énergies fossiles (et donc l'envolée de leur prix) n'existaient pas; comme si les banksters et autres dealers mondialisés n'étaient qu'une vue de l'esprit gauchiste.
D'autres participent de cette intoxication collective et massive sur la nécessaire réduction des dépenses publiques et la flexibilisation accélérée du code du travail. Le poids de l'endettement nous interroge évidemment. Rembourser plus de 50 milliards d'euros par an à toutes sortes de créanciers publics ou privés est une ineptie. Remplacer l'emprunt par l'impôt, une sombre manipulation.
Mais, comme le rappelle Sylvain Gouz sur son blog, "la France n’a jamais été aussi riche de son histoire… et n’a jamais été aussi inégalitaire !"
L'expatrié Chappaz ressemble à un autre néo-libéral, le bruyant patron du groupe Titan, repreneur de fabriques de pneus qui a lâché un premier courrier à Arnaud Montebourg pour traiter les salariés de l'usine Goodyear d'Amiens de fainéants. Puis, après la cinglante réponse du ministre, une seconde lettre. La violence de l'échange trouble même quelques éditocrates.
Le "Grizzly" de Titan (*) ou la France des exilés ont-ils des leçons à nous donner ?
En France, l'actualité restait plus sérieuse que ces élucubrations. Mardi, la loi de régulation bancaire était adoptée en première lecture par une large assemblée aux contours parfois inattendus: vote favorable des socialistes, radicaux de gauche, écologistes et ... des UMPistes de la Droite populaire; opposition de l'UMP; abstention du Front de Gauche et des centristes...
Cette loi, on le sait, ne résoudra pas les travers de la finance. Mais quelle surprise de constater l'hostilité des plus libéraux de l'Assemblée.
Cauchemars
La bataille des arguments fait également rage à propos d'une proposition du président de la Cour des Comptes Didier Migaud - la fiscalisation des allocations familiales. Nouvelle curieuse alliance "objective" sur ce sujet lancé un dimanche hivernal, Front de gauche et UMP dénonce cette "attaque" contre la politique familiale. Mais pourquoi les 250 euros d'allocations familiales seraient indifféremment distribués chaque mois aux familles pauvres et riches ?
Hervé Novelli, un autre libéral, resté en France celui-là, confie qu'il préfère être "travailleur même pauvre en Allemagne" qu' "assisté en France". Quelle comparaison ! Quelle ambition !
Hervé Novelli est rejoint par Jean Arthuis, ancien ministre des finances sous Chirac, sénateur de centre-droit qui se permet d'hurler à davantage de flexibilité et la suppression de la durée légale du travail.
Jeudi, 47 mesures pour la jeunesse sont mises en perspective par le premier ministre. Depuis octobre, 24 ministères se sont régulièrement réunis pour plancher sur la chose. Certaines décisions avaient été déjà annoncées. Contrairement à l'agité précédent, Hollande ne promet aucun Plan Marshall. La jeunesse, priorité du quinquennat, se voyait offrir une feuille de route. Pour nos néo-libéraux, c'est du quasi-cauchemar. Pourquoi donc s'embarrasser ? 450 euros d'allocation d'insertion par mois ? De l'assistanat ! La création d'un service public d'information professionnelle et éducatif ? De la dépense publique inutile ! Les emplois d'avenir ? Qu'on supprime les charges sociales et la Sécu avec ! La création d'une garantie Jeunes pour la location de logements ? Qu'ils restent chez leurs parents !
Zéro Europe
Vendredi, les libéraux devaient-ils se réjouir ? La France allait-elle être à genoux après les déclamations bruxelloises ? Car la Commission livre son verdict, la croissance française sera quasi-nulle cette année (0,1% du PIB), insuffisante l'an prochain (1,2%); et la France doit donc
Mais le ministre des finances saute sur les micros pour rassurer tout le monde. Les deux-tiers de la réduction du déficit structurel ont été acquis par les lois de finances (correctif 2012 puis LOF 2013) votées depuis mai dernier. Et Moscovici prévient: il n'y aura pas de mesures supplémentaires, « au-delà de celles qui sont déjà mises en œuvre.»
Et il se réjouit... du report de l'échéance pour ramener le déficit français à 3%. Il a mis le temps. Cela fait plusieurs jours que nous nous réjouissions de cet accès soudain de lucidité.
François Fillon, l'ancien mutique collaborateur de Nicolas Sarkozy, sort de sa réserve pour oser donner quelques leçons de rigueur budgétaire. Lui qui se donnait l'image d'un gaulliste social nous sort la même antienne que ses copains libéraux cités plus haut: « Il est urgent de mettre fin aux erreurs de politique économique qui étouffent la croissance à force d’impôts.» Que diable ! « Il peut dénoncer mais pendant les cinq ans qu'il a passés à Matignon, la dette est montée de 600 milliards » rappelle notre confrère blogueur Nicolas.
A Londres, l'agence Moody's retire son triple A au Royaume Uni... Après trois ans d'austérité neolib via une réduction drastique des dépenses publiques, l'agence de notation s'inquiète des perspectives de croissance... Pourtant David Cameron s'obstine, et promet pire encore: « Nous avons droit à un sévère rappel des problèmes de la dette auxquels est confronté notre pays (...). Nous n'allons pas tourner le dos à nos problèmes, nous allons les surmonter. »
Alors... Stop ou encore ?
Crédit Illustration: merci à Do-Zone Parody !
(*) surnom de Maurice M. Taylor