La critique de Claude :
Le magnifique film de Steven Spielberg a éveillé mon envie d’en savoir plus sur la grande figure souffrante et triomphante d’Abraham Lincoln. Devant ce type de problème, une solution vient à l’esprit, celle de la collection Fayard, qui a traduit une bio récente (2009) d’un historien universitaire américain né en 1936, Stephen Oates.
Ce livre vaut surtout pour le récit de la jeunesse et de la formation de Lincoln. « Born in a log cabin », né dans une cabane de rondins, tel est le leitmotiv américain pour situer les origines modestes du Président. Fils d’un petit agriculteur de l’Illinois, Lincoln, intelligent et amitieux, fait tous les métiers : ouvrier agricole, marinier, receveur des postes, épicier. Il deviendra un excellent avocat sans avoir suivi les cours d’aucune Université. Tout lui est difficile, mais son ascension sociale lui vaudra un « beau mariage », avec une fille de la bourgeoisie du Sud, qui lui donnera quatre fils, mais ne contribuera pas à son équilibre.
Passionné de politique, Lincoln franchit un à un tous les échelons, au Parlement de l’Illinois, puis au nouveau Parti Républicain (libéral de gauche, rien à voir avec les ultra conservateurs d’aujourd’hui), enfin à Washington.
L’Amérique est alors véritablement empoisonnée par le problème de l’esclavage : les Etats du Sud, voués au coton, au sucre et au tabac, sont entrés dans l’Union en 1776 avec leurs centaines de milliers d’esclaves noirs. Pas question pour eux d’accepter l’émancipation des « Nègres », comme l’ont fait, de gré ou de force, les colonies britanniques en 1832, et françaises en 1848.
Pire encore : l’Amérique conquiert au XIXème siècle des territoires vers l’ouest ; les Sudistes voudraient doter ces nouveaux Etats d’un régime esclavagiste, ne serait-ce que pour éviter d’être un jour écrasés à Washington par une majorité de parlementaires anti-esclavagistes. En 1853, ils remettent en cause le « Compromis du Missouri », adopté en 1820, qui tolère l’esclavage au sud du 36ème parallèle, et l’interdit au nord.
Lincoln et le Parti Républicain veulent au contraire mettre un coup d’arrêt à l’esclavage, en appliquant partout le magnifique Préambule de la déclaration d’Indépendance de 1776 : « Tous les hommes sont créés égaux, et dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels le droit à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur ».
Quand Lincoln sera élu Président des Etats-Unis, en 1860, sur ce programme, les Etats du Sud feront sécession, ce qui provoquera la première guerre moderne : 4 ans de combats sauvages, de terrain perdu et regagné, de terre brulée, avec l’apparition effroyable de la mitrailleuse, 620.000 morts et 400.000 blessés.
Lincoln sera l’organisateur de la victoire, qui n’est vraiment pas due à des généraux pires que nos « étoilés » de la guerre de 1914-18, alors que le Sud, dont sont originaires d’excellents officiers, conduits par Robert Lee, compensera longtemps son infériorité numérique et économique par son art de la guerre.
Toute cette histoire est racontée dans le détail – et même dans le sous-détail - par Stephen Oates : intrigues du Congrès, coups fourrés des Partis, trahisons des amis, corruption des chefs, alcoolisme des généraux. Mais l’histoire évènementielle tient trop de place dans ce livre, au détriment d’une analyse socio économique. Par exemple, l’auteur ne donne pas les raisons (philosophiques, spirituelles, politiques, économiques et sociales) qui ont conduit les citoyens du Nord à se battre contre l’esclavage et contre leurs compatriotes du Sud, sans pour autant considérer les Noirs comme leurs égaux, ce que l’histoire hélas montrera à l’évidence
Il faudra donc lire autre chose sur la Guerre de sécession. Mais le portrait de Lincoln est précis autant qu’émouvant. Il confirme la vision de Spielberg : le Président a certes été assassiné en représailles de la victoire du Nord, mais il avait de toute façon donné sa vie en supportant pendant quatre ans un épuisant effort, sans grand soutien de ses amis politiques.
LINCOLN, biographie de Stephen Oates, traduite de l’américain par Philippe Delamare chez Fayard, 570 p. 26,40 €