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Mali, Cameroun, même combat ?

Publié le 22 février 2013 par Egea
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L'observateur reste un peu interdit et peu assuré, à la suite de cet enlèvement au Cameroun d'une famille française, transférée au Nigéria par un groupe "secto-islamiste", Ansaru. Certains, éminents spécialistes, font aussitôt le lien avec ce qui se passe au Mali : tout ça, c'est le terrorisme islamiste, tout ça c'est un sahélistan généralisé, aïe aïe aïe! ouille ouille ouille ! comme dirait Dutronc.

Mali, Cameroun, même combat ?
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Oui. Peut-être. Pourquoi pas. Vrai aussi. J'entends bien. Je me rends à vos arguments. Mais... un tout petit mais.....

Mais le géopolitologue, vous savez ? ce spécialiste de rien, amateur en tout, qui parle d'une discipline qui n'est pas scientifique, d'ailleurs elle n'est pas enseignée à l’université mais seulement dans les écoles de commerce, bref, le géopolitologue, pas fiable, a malgré tout quelques idées simples (que dis-je ? simplistes) à faire valoir.

La première est qu'une explication unique, monocausale, détient peut-être (probablement, sûrement...) une part de vérité mais ne peut être LA vérité, toute la vérité : cela, il le tire d'une sorte de variation de l'irréfutabilité de Popper, si vous voyez ce que je veux dire.

La seconde est qu'il faut regarder les cartes, et à plusieurs échelles, pour comprendre l'articulation entre des dispositifs locaux, régionaux, continentaux et mondiaux. Et que selon le degré de focale, les explications peuvent varier et même, (aïe aïe aïe! ouille ouille ouille ! ) diverger !

Pas simple. Non, une discipline pas simple car elle cherche à appréhender un monde pas simple, nous sommes bien d'accord.

Alors, à comparer le Mali et le "Cameroun-Nigéria" (ci-après dénommé Nigéria par commodité), que peut-on dire ?

Certes, voici des pays organisés selon un gradiant physique nord-sud, même si ce gradiant est plus marqué au Mali qu'au Nigéria : ce dernier est "géographiquement" plus homogène, quand on distingue bien au Mali une zone de savane, puis une zone sahélienne, enfin une zone désertique. Ce gradiant recoupe de plus dans les deux cas, un gradiant ethnico-religieux (sur lequel nous allons très vite revenir). Enfin, on constate le rôle polarisateur des deux grands points d'eau de la région : à l'ouest la boucle du Niger, à l'est le lac Tchad. Remarquons au passage que l'accès au lac fut à l'origine (coloniale) de la découpe byzantine des frontières de la région entre Français (Tchad), Anglais (Nigéria) et Allemands (Cameroun).

Et puis... c'est tout. Pour les similitudes, du moins.

Car le Mali est clairement dans la zone sahélienne, quand le Nigéria n'y est distinctement pas.

Le gradiant de population, dans le cas du Mali, n'est pas religieux (90 % de la population est musulmane : on n'est donc pas comme dans le pas de l'ex-Soudan réuni) mais racial (avec de très profondes racines historiques, bien antérieures à la colonisation et remontant au Moyen-Âge) et opposant des populations noires et des populations blanches. Dans le cas nigérian, ce gradiant est religieux et oppose musulmans au nord et chrétiens/animistes au sud, selon la configuration soudanaise déjà évoquée (et avec d'ailleurs la même difficulté de répartition des richesses pétrolières).

Enfin, et si je comprends bien ce que je lis mais je ne suis pas un spécialiste et m'abreuve uniquement à des sources ouvertes, donc forcément suspectes (ironie), les organisations terroristes semblent obéir à des structures différentes. Tout juste peut-on constater comme point commun leur diversité et donc leur éparpillement, au Mali comme au Nigéria. Pour le reste , on aurait :

  • au Mali, trois groupes avec, en simplifiant à l'extrême et en étant assuré qu'il y a dans chaque groupe des éléments d'un autre :
    • AQMI, constitué d’Algériens, arabes et extérieurs : disons que c'est une composante idéologique "mondialisée" (ce serait d'ailleurs eux qui lanceraient les opérations de harcèlement dans la région de Gao)
    • MUJAO composé de Maliens locaux, de la boucle du Niger, noirs : ce serait une composante idéologique localisée..
    • Ansar Edine (et/ou MNLA), composé de locaux Touaregs, centrés autour de l'adrar des Iforas, et blancs. Ce serait une composante localisée et moins idéologique .
  • au Nigéria, deux groupes identifiés et là encore avec une analyse simplifiée (de ce que je comprends de mes lectures) :
    • Boko Haram : des locaux, noirs, et ciblant les Nigérians : localisés, avec un mélange d'idéologie et de secte
    • Ansaru : des locaux, noirs, ciblant les extérieurs, et notamment les occidentaux. Moins localisés, plus d'idéologie, aspects sectaires.

Ainsi, j'en tire deux conclusions :

  • il a pu y avoir des coopérations opérationnelles de circonstances, notamment entre AQMI et Boko Haram.
  • Toutefois, la distance et la différence des conditions géographiques relativisent les convergences entre ces mouvements. On nous expliquait habituellement que le phénomène de l'islamisme faisait tâche d'huile (une sorte d'adaptation de la théorie des dominos, qui d'ailleurs est très controversée en théorie des relations internationales). Ici, il y aurait un "saut d'huile". Le Niger, liant le Nigéria au Mali, est curieusement omis de la théorie sahélistano-islamico-terroriste Pourquoi pas, mais...
  • Mais il semble plus exact de considérer que même s'il y a incorporation de discours radicaux extérieurs, il faut surtout constater les localisations et les acculturations de ces phénomènes.

Al Qaida n'est qu'une franchise, et "n’organise" pas. Le terrorisme est auto-porteur. C'est une pratique politique qui vient se greffer sur des conditions politico-sociales données (avec d’ailleurs l'importation d’élément radicaux exogènes, venus là comme les radicaux alters se précipitent dès qu'il y a un mouvement social en Europe, du TGV Lyon-Turin à l'aéroport de Nantes : la logique est exactement similaire). Et qui obtient d'étonnants résultats en terre d'islam... mais pas seulement. Faut-il rappeler que l'attentat suicide fut inventé par les Tigres tamouls ?

Il reste que j'entends un silence assourdissant : quelle autorité musulmane de Turquie, d'Arabie ou d’Égypte condamne les excès commis au nom de l'islam ? Il y a là une sorte de complicité objective qui est particulièrement déplaisante. Quelles que soient les acculturations et les diversifications de l'islam, la solidarité de fait avec toutes les radicalités illuminées paraît difficilement tolérable.

O. Kempf


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