José Garcia Cordero
La laguna verde 2012
Marianne de Tolentino
Qu’est-ce qu’une bonne exposition ? Quelqu’un a écrit récemment qu’une exposition est bonne lorsqu’on est content de l’avoir vue. Et pour un critique d’art ? Il me semble qu’une bonne exposition doit nous motiver et nous donner envie d’écrire… En ce qui concerne l’exposition de José García Cordero à la galerie d’art Lyle O. Reitzel, ces deux conditions sont largement réunies.
Cependant, avec la difficulté inhérente à une telle qualité et une telle richesse, l’exposition risque de provoquer les commentaires les plus variés : certains vont même jusqu’à faire le lien avec des sujets d’actualité, tels que la pertinence de la peinture (aujourd’hui plus que jamais), ou la coexistence des arts traditionnels et contemporain. Enfin cette exposition, modeste par le nombre d’œuvres mais imposante par sa beauté exceptionnelle, pourrait largement donner matière à un débat global. Malheureusement, un court article se doit de donner la priorité à l’artiste et à ses œuvres les plus récentes…
Le titre de l’exposition est une provocation, Más de lo mismo ( Encore la même chose ), et se prête une fois de plus aux éloges traditionnelles et inévitables : une œuvre puissante et radicale, un engagement pluriel et personnel, humour noir et ironie, attachement « obsessionnel » à la région de Montecristi, l’autoportrait comme témoignage, la condamnation finale de la dégradation de l’homme et par l’homme.
En effet, comme l’indiquent à juste titre ces observations, José García Cordero est resté ces vingt dernières années d’une cohérence absolue en termes de thèmes, de style et d’idéologie, et, incorrigible artiste classique, il a continué à travailler sur les trois genres que sont le portait/l’autoportrait, la nature morte et le paysage. Pour résumer, il a conservé son traitement pictural singulier, sans céder de terrain à la pression écologique, ni à la sensibilité et à la prise de conscience des adeptes de cette tendance.
José Garcia Cordero
La Huida I
L’exposition
Cela dit, la peinture de José García Cordero n’a cessé de gagner en maturité. Mais c’est une observation que l’on peut faire à chacune de ses expositions. L’artiste, originaire de Santiago du Chili, berceau de la peinture et de la photographie, s’est véritablement approprié l’art du paysage, pour devenir sans conteste le paysagiste dominicain contemporain le plus intense, le plus vigoureux et le plus poétique. Il a atteint le summum de l’expression et de la facture, alliant une description littérale de la nature (il nous rappelle avec ses cactus la précision de ces peintres voyageurs humboltiens et leur obsession botanique) et la disparition dans le monde moderne de ces grands espaces plans qui intensifient la perspective jusqu’aux limites de l’imagination. Le ciel, la terre et l’eau vibrent, en alternance ou simultanément selon les tableaux, mais l’exubérance tropicale est modérée par la construction de l’espace, et le souvenir de la réalité (José peint selon la méthode orientale et plante son chevalet dans le souvenir !) immortalise à la fois le permanent et le momentané.
Ainsi, avec l’œuvre frappante Huida II (Fuite II), ce que l’on pourrait appeler le temps géologique de la nature cohabite avec l’instant de l’évasion (pour aller où ?), et le non- dit permet toutes les suppositions. Le lieu est aride, avec un haut plateau et deux troncs au premier-plan (et avec quel talent il manie les tons pour suggérer le désert !) : la créature humaine marche, court, et finira par disparaître. Ses dimensions sont largement réduites dans cette série, jusqu’à l’autoportrait. Néanmoins, l’Homme perdure de manière symbolique et/ou est mis en valeur par sa position, visage et œil dans El gran cactus, ou reproduit de façon symétrique dans Playa Popa (14 de junio 1959) . Si l’on s’intéresse ensuite à la toile La laguna verde , le visage miniature flotte mystérieusement (camouflage face à des adversaires invisibles, immersion d’un nageur solitaire ou esprit de la forêt ?) et les interprétations se multiplient : nous plongeons nous aussi dans les reflets magiques de l’onde, dans la distribution des couleurs et la verdure environnante, ou dans l’agencement des troncs et des lianes. Il s’agit sans conteste d’une œuvre majeure.
N’oublions pas une splendide nature morte au titre évocateur, La Ofrenda (L’offrande), all-over circulaire impeccablement exécuté par l’artiste. Toujours en lien avec Montecristi, elle représente des fruits de mer rouge vif, des coquillages et des têtes de poissons aux dents vainement menaçantes, précieux comme des perles d’huitres. On y trouve également une espièglerie érotique inattendue : un coquillage aux formes indéniablement… féminines. Serait-ce là l’offrande ?
La Espera est sans aucun doute animée d’un aspect ludique, dans le même esprit (attente de quoi ou de qui ?), avec cet homme dans son hamac, accroché entre deux branches sèches, plongé dans la lecture d’un ouvrage titré Sexe, accompagné de son chien assoiffé… la langue pendante comme le sont aujourd’hui les molosses de José, bien moins menaçants qu’avant. Cette œuvre est divertissante et intrigante. Elle offre également un autre intérêt pictural, avec les ours en peluche, qui paraissent enchanteurs au premier regard, mais se révèlent inquiétants, vêtus d’armures variées (une version personnelle des poupées diaboliques du cinéma ?). Ici, chaque peinture exposée (qu’elle soit de José ou de Lyle) mériterait d’être commentée lors d’une visite guidée. Más de lo mismo, ce n’est pas la même chose, c’est bien plus !
José Garcia Cordero
La Huida II
ZOOM :
Pour un prestige bien mérité
Souhaitons que José García Cordero parvienne à se faire exposer à Paris, dans un lieu comme la prestigieuse Fondation Cartier, où l’on a récemment vu la rétrospective du célèbre artiste chinois Yue Minjun, lui aussi critique et autoportraitiste ! Il ne fait aucun doute que notre peintre a l’envergure nécessaire pour atteindre les sommets de l’exposition internationale.