Soldanelles
Nous étions un soir à Paris avec Jean-Michel Meurice, rue Notre-Dame des
Champs, et nous parlions de son utilisation des végétaux. Je remarquai que Jean-Michel
conservait entre les pages des livres des feuilles séchées, quelques plantes,
et des pétales de fleurs. Nous devions composer ensemble une dizaine de pages
pour une collection de manuscrits illustrés. C’est alors qu’il me propose d’écrire
un texte à partir du mot Ipomée. Je suis nominaliste et j’aimais bien le mot,
mais à ma consternation, je m’aperçus que je n’avais aucune idée du végétal qu’il
représentait. Toutefois, à peine revenu chez moi, j’en trouvai facilement le
sens et dans les jours suivants j’en fis une litanie que j’apportai au peintre.
J’en recopie le début :
Ipomea – fruit capsulaire – jalap officinal
– patate douce – ipomea batatas – volubilis variabilis – convolvulacée –
turbith turpethum – Jalapa localité du Mexique – Ciudad de las flores – le Jalap
entre dans la composition de l’eu de vie allemande – Belles de nuit – liseron petit
lys comparé à la grande fleur blanche du convolvulus sepium – feuilles sagittées
ou cordiformes – Ipomea purpurea – liseron pourpre – feuille à oreillettes
obtuses – pédoncules glabres sans bractées dans le milieu – liseron des haies –
suepes – convolvulus arvensis – petite vrillée ou clochette des blés – feuilles
réniformes – convolvulus maritimes – convolvulus tricolor – fleur d’un bleu
superbe blanche au milieu jaune à la gorge – remplie d’un suc laiteux et amer –
convolvulus soldanella – Soldanelle – liseron du Portugal – Belles de jour.
Le mot lui-même, générique de convolvulacées est une sorte de miracle linguistique
car il conduit à l’arabesque, l’enlacement et même la convulsion. Il eût fallu
ajouter la liste d’une collection d’ipomées japonaises trouvée au Jardin botanique,
dont j’égarai heureusement la copie.
La surprise, au bout de l’histoire, venait de ces premiers jours d’automne, à
Bages, dans la Narbonnaise, alors que je découvrais soudain les dernières
créations du peintre. C’était imprévu et presque miraculeux, car il avait
repris, développé et dirais-je sublimé cette préoccupation du végétal et des
Ipomées. Je me trouvais dans l’atelier, au-dessus des étangs, en face de
compositions réalisées sur toile souple de différentes couleurs, grises et
bleues, roses ou vertes, jaunes, avec quelquefois des verticales justement qui
indiquaient la direction du regard et du travail. Et cette forme du liseron ou
de la petite vrillée, blanche, qui semblait se déployer et s’élever peu à peu
vers les nuages et le ciel.
Nous avions un buisson de Belles de nuit – rouge vif- au seuil de la maison,
sur la rue. Elles se refermaient dès le premier matin pour ne s’ouvrir qu’à la
brune. On les appelait aussi mirabilis jalapa, merveilleuses Belles de nuit.
Mais dans le jour de l’atelier, cette forme dessinée blanche qui s’élevait vers
les cimes comme une étoffe légère, un linge blanc, enroulée sur elle-même et se
déployant à la mesure comme un esprit qui s’évade de la terre et de la matière,
avec parfois des écritures et des variations colorées, ces compositions du
peinte me reconduisaient au temps des découvertes. Alors que je ne soupçonnais
pas encore où nous mènerait cette identification à l’esprit du végétal et de la
terre.
Paul-Louis Rossi, Eric Fonteneau, Un
monde analogique, ouvrage publié à l’occasion de l’exposition Un monde analogique, une proposition de
Paul Louis Rossi présentée dans un espace de curiosités cristallines et un
cabinet de cartes créés par Eric Fonteneau, médiathèque Jacques Demy du 16
novembre 2012 au 31 mars 2013, édition bibliothèque municipale de Nantes,
éditions Joca Seria, 2012, pp. 125 et 126.
Autres parutions récentes de Paul Louis Rossi
Le Pont suspendu, Jean-Michel
Meurice, éditions Virgile, 2012, voir ici
Démons de l’analogie, joca seria,
2012, voir ici
et un Paul-Louis Rossi, dans la
collection Carnet recomposé, conçue par l’Association les Traces habile (voir ici)
Alain Veinstein a reçu le 25 janvier 2013 Paul Louis Rossi Un monde analogique
et Démons de l’analogie. On peut réécouter ou podcaster l’émission ici.