Retour sur la vente Rosenthal : Le lot 50 consistait en une "rare" statue Tiv. Estimée $50.000-70.000, elle fut adjugée à l'estimation basse.
Pourtant, si les sculptures Tiv ne sont pas à proprement parler "rares", celle-ci est exceptionnelle de par sa qualité. Revenons sur l'origine de ces sculptures appelées Ihambe.
Les Tiv constituent une population importante de près de 6 millions d'individus répartis entre l'Est Nigeria et le Cameroun, établis sur la rive gauche de la Katsina River.
L'organisation politique des Tiv avait cela de particulier qu'elle était basée sur un équilibre entre les lignages. Le travail d'Evans-Pritchard sur les Les Nuer avait déjà éclairé ce type de système de société dit "segmentaire à lignage", et c'est l'anthropologue Laura Bohannan qui, au début des années 50, a mis en évidence ce système politique chez les Tiv. (l'article donné en lien ("Shakespeare dans le Bush") est une bonne leçon de terrain !)
De fait, cette organisation a empêché l'administration britannique d'avoir facilement prise sur les Tiv ; celle-ci a bien essayé de les mettre sous contrôle des Jukun voisins sans véritablement y parvenir.
Un lien très fort soude le peuple Tiv. Ceci n'est pas nécessairement dû au fait de leur organisation politique mais plus probablement de par leur migration du début du XVIIIème siècle, en provenance du sud Cameroun. Un point mystérieux entoure celle-ci, puisqu'il semble que cette migration soit dûe à une surpopulation d'une montagne dite Swem, située au sud est de la Benue ; mais on ne reconnaît pas cet endroit.
Les Tiv occupèrent alors un territoire qui devint infranchissable et auquel se sont heurtés les Igala, Idoma, Jukun.
Ce lien fort qui unit le peuple Tiv est aussi probablement à rechercher du côté de leurs croyances qui les soudent dans une lutte implacable contre la sorcellerie.
Les Tiv possèdent de nombreuses figures magiques appelées Akombo et utilisées pour combattre la maladie mais aussi favoriser la fécondité.
Les statues comme celle présentée lors de la vente Rosenthal appartiennent probablement et à la sphère magico-religieuse et à celle des rites de mariqge.
Les mariages les plus importants se faisaient par échange réciproque des soeurs. De ce double échange, il en résultait que la belle fille devenait celle qui représentait la fille à la mort de la mère.
Lors de ces échanges de soeurs, des ihambé étaient réalisées, parfois des couples.
Plantés dans le sol accompagnés de deux récipients de terre cuite, ces statues étaient érigées près de la maison afin d'apporter santé et bonheur à la nouvelle épouse.
Les ihambé restaient ainsi dans le même groupe familial car à la mort de la mère, la belle fille en héritait.
Il existe deux styles de statues Ihambé : Un style "poteau" où la statue se borne à être un cylindre surmonté d'une tête ; et un style réaliste, très travaillé.
Dans ce dernier cas, les statues sont ornées de motifs représentant des scarifications : des chéloïdes sur les tempes, des "moustaches de chat" aux commissures des lèvres et des nombreuses marques autour du nombril. Les scarifications abdominales étaient courantes et pratiquées à la puberté de la jeune fille.
Il y a dû y avoir un nombre assez important de statues Ihambé réalisées car, d’un clan à l’autre, il n'existait pas une seule statue ; on pouvait par exemple, pour chaque épouse, placer devant la maison, un couple pour le clan paternel et un pour le clan maternel.
On peut encore se demander si ces statues représentent des ancêtres ? À ce jour, nous ne connaissons pas la réponse.
Photo 1 : Ihambé, © Sotheby's.
Photos 2 et 3 : © Musée du Quai Branly et © Fowler Museum, UCLA.
Photo 4 : © Galerie Dandrieu Giovagnoni.
Photo 5 : Coll. Particulière, exposition Exposition Nigeria. Arts de la vallée de la Bénoué, 2012, Musée du Quai Branly, © JI-Elle.