Poète, romancière, peintre, Etel Adnan dont l'oeuvre traverse le vingtième siècle nous convie à une fiction autobiographique qui mêle souvenirs et réflexions sur la création et l'écriture. Les fragments en prose, dont les titres reviennent, vagues répétitives qui ramènent avec elles les vestiges des mers et des océans. Car on oscille entre les mers de Méditerranée : Grèce-Liban, et l'océan Pacifique : la maison de Californie où elle a vécu cinquante ans.
Etel Adnan
décembre 2012
(photo : Nadine Ltaif)
La maison, le lieu, le corps, la guerre.
Voir défiler la pellicule du souvenir des guerres dans son cerveau, voir "les soldats anglais marchant dans Beyrouth, " par exemple. Beyrouth qui prend une place importante dans ce recueil en prose. "Beyrouth, irrespirable, devenue la ville la plus cruelle au monde. " " Je ne sais pas de quelle manière je vais mourir dans cette ville où l'argent et la mort sont mêlés. Ils vendent la mort à Beyrouth comme en France on vend le vin. Pour le plaisir."
Les fils métalliques.
"Le tissu de ce siècle est constitué de fils métalliques : les camps allemands entourés de barbelés dans toute l'Europe et en Grèce, les clôtures anglaises en Égypte, les barrières israéliennes en Palestine à la frontière sud du Liban..."
Quand Etel va aux funérailles d'Oum Kalsoum elle voit "la foule devenue mer enveloppant son corps".
Ce sont les correspondances entre mer et terre, animal et humain qui s'amalgament dans son cerveau. "Qui dit que les animaux ne sont pas des personnes ?"
"Tel un saumon je suis revenue ici pour mourir."
"Poisson, je suis le saumon indien originaire d'une terre arabe."
Ma maison, ce lieu, ce corps.
Elle ne peut que s'habiter elle-même, habiter son corps.
Son mysticisme est à l'image du syncrétisme libanais, moyen-oriental, comme on le vit en terre du Levant.
Une église un certain jour de Pâques, le chant du muezzin comme une lamentation. Elle passe à travers les sensations de son corps et de ses souvenirs d'enfance. De la résurrection au parfum de sainteté, de la fin du jeûne du Ramadan. "Ma querelle avec l'église est si ancienne que je pense que j'ai dû vivre un jour en Espagne sous l'Inquisition," écrit-elle.
Tout le chapitre IV est consacré à Lawrence d'Arabie à qui Etel rend hommage et qui a collaboré à la libération du monde arabe.
Elle déconstruit les préjugés quand elle annonce à une survivante d'un camp de concentration de la Seconde Guerre mondiale, au risque de la décevoir, que l'Arabie n'existe pas.
"Entendre la bande-son de la guerre en Irak et être stupéfaite par la beauté des couleurs du printemps dans la maison de Californie."
Avoir honte d'être bien alors que d'autres meurent de faim sous les bombes. La lassitude d'exister, l'usage de l'infinitif qui entrave toute action. Ou "perdre le sens de toute raison d'être" malgré la beauté d'un jardin naissant ou d'un bon repas.
Le dernier chapitre tout en paradoxes invoque le poète irakien Badr Shaker al Sayyab pour "l'informer que Bassora est sous les bombes" ou les poèmes d'Inanna, et les dieux babyloniens devenus impuissants.
Des images, des souvenirs, et au final rappeler que le code de Hammourabi est l 'un des premiers qui traite des lois des Droits de la personne.
Etel Adnan, poète et philosophe de notre temps, nous rappelle que le corps et l'esprit font toujours un dans un poème.
Bibliographie :
http://www.eteladnan.com/cv.html