Du film d’Alain Corneau, Brian De Palma a gardé la trame de base : deux femmes, leur guerre au sein d’une grande compagnie, l’ambigüité sexuelle. Pour le reste, il y a insufflé tous les gimmicks de son œuvre, à savoir : jeux de masques, de voyeurisme, manipulation et faux semblants. Son Isabelle (Noomi Rapace), et sa Christine (Rachel McAdams) forment un duo féminin qui n’est pas sans rappeler les figures vampirico-lynchiennnes de dominantes/dominées où désirs de s’approprier l’autre tout en l’aimant d’un amour inconditionnel et pervers sont l’épine dorsale d’un conflit entre le moi et autrui. C’est aussi à une déconstruction de l’imagerie de la « Femme fatale » auquel nous convie le cinéaste : poupées glacées lâchées dans un monde moderne, fait de glace et de billets verts. Leur désarroi commun, plutôt que de les unir, les fait s’affronter en animales jalouses, leurs corps séduisants comme autant de crocs impitoyables. Une danse macabre et vénéneuse, dopée à l’esprit de compétition, que De Palma filme grossièrement, frisant l’auto parodie dans une triste compilation figée de ses obsessions de cinéaste : pulsions de vie, de mort, de sexe ; infiltration du voyeurisme dans la palette complexe et passionnelle des sentiments humains. Au milieu du duel (dont le suspense est sacrifié), on y trouve alors pèle mêle : rivalités, correspondances, fascination, soumission, déraison. Des étreintes qui s’auto nourrissent, avant d’exploser- inévitablement- en plein vol. Formellement, l’atmosphère, elle, se veut érotico-chic et choc, De Palma souhaitant insuffler au thriller des accents charnels noirs. Mais son Passion ne décolle jamais, cheap, englué dans des notes de musique poussives, des manières vieillottes, et tout un tas de choses qui ne veulent rien dire (la séquence du split screen en point d’orgue de la vacuité).
Pour trouver le dernier bon film du cinéaste, il faut remonter à 2008, où, avec son Redacted balancé en pleine guerre d’Irak, il analysait déjà les impacts des nouvelles technologies sur les êtres en proie à des émotions extrêmes. Dans Passion, il y déploie en filigrane la même idée : les deux rivales s’affrontent à coup de Skype, publicités YouTube, caméras : tout y passe pour mieux se détruire. Une passion qui s’exprime par le contrôle de l’image, des masses, de l’esprit. Cette société contemporaine, terrain idéal à l’expression des plus viles bassesses humaines (féminines, surtout), De Palma ne cesse de la vomir ; in fine les deux femmes n’apparaissent que comme des produits malades de leur environnement, des icônes sacrifiées aux regards masculins, façonnés par ces mêmes yeux (le sien, aussi), des objets sexuels froids et distants, des fantasmes détraqués qui tentent de se réapproprier leurs corps par une impossible fusion de femmes. Dans leur désunion, il y a tout le cynisme méchant du réalisateur, et du monde moderne, pire qu’une impossibilité à s’aimer : une condamnation à se haïr. Le crime d’amour du titre originel, ici ironiquement (et logiquement quelque part) symbolisé par le logo d’un Mac, lui, n’est alors finalement rien d’autre qu’un acte sexuel manqué entre deux victimes d’un même mal : l’égo. Dommage qu’avec une telle richesse thématique, De Palma livre un sous-drame visuellement laid, sans charme ni chair.