Et si je mettais de la menthe ?
Je coupe au ciseaux quelques feuilles dans le bouquet odorant devant moi, souriant à l’idée que je détestais les herbes vertes jusqu’à il y a peu. Que j’interdisais à maman d’en mettre nulle part. Que je les triais sans vergogne dans mon assiette. Cela me paraissait rajouter des saveurs trop compliquées. On savait jamais, en mettant la fourchée dans sa bouche, à quels
Ce qui a changé, c’est que j’ai moins peur. Que je me sens moins attaquée. Que ce qui diffère de moi ne me menace plus autant. Que je commence à me connaître et m’apprécier d’avantage. » Il faut bien se connaître », me disait souvent celle qui fût un temps ma maman d’adoption, à propos du couple. » C’est une gageure de vivre ensemble ! » rajoutait-elle toujours en secouant ses boucles blondes. Ces deux phrases m’intriguaient. Déjà le mot gageure, pourquoi gageure ? La sonorité de ce terme que je connaissais sans le connaître me laissait toute chose. Gageure….Du mot gage ? Défi, en somme. Cap ou pas cap, dans Action ou Vérité. Mais aussi les gages d’un domestique… Molière ! Le vaudeville ! Les images circulaient à vive allure dans mon esprit, tout ça pour un seul mot… Et puis après : « Il faut bien se connaître ». Un point d’interrogation venait s’afficher devant mes yeux. C’était intriguant, cette idée, mais j’étais vraiment incapable d’en saisir le sens, prise dans ce brouillard qui s’appelle avoir 20 ans. Pourquoi se connaître soi-même, aussi importante que soit l’injonction de l’oracle, devenait chez ma chère Madame Poppins, comme je l’appelais, le premier des impératifs (« Il faut » !) pour vivre en bonne intelligence ?
8 ans plus tard (est-ce beaucoup ? est-ce peu ? On est pourtant réputés pour être vifs dans la famille), la réponse est limpide : pour ne pas demander à l’autre d’être à ma place. Si je ne sais pas qui je suis, je passe mon temps à guetter ce qui me définira chez l’autre. Ou si je ne deviens pas ce que je suis- on n’est plus à un aphorisme près – alors, il faut qu’il le soit. Et voilà que maintenant, mon narcissisme à peu près colmaté, je n’ai (presque) plus cette exigence.
Il est différent
Ah, l’affreuse chose !
Il est différent
Hors de ma vue, manant !
Il est dif-fé-rent
…….
…….
Bon, d’accord.
Et pourtant, que ce constat fait mal. Que de deuils, que de fantasmes à laisser filer, que de déceptions à laisser passer. On a beau jeu d’être de gauche, d’avoir l’indignation et les droits de l’Homme faciles, ce ne sont que des mots jusqu’au vrai test.
Cette semaine, engoncée dans les couvertures, je regardais un film en pleine après-midi, j’ai le droit, me disais-je rageusement, je suis malade malade, la gorge, les oreilles, la tête, tout part à vau-l’eau, laissez moi tranquille ! Je regardais et puis quelque chose m’a fait penser à lui, je l’ai imaginé debout devant moi, en train de réagir de cette façon que je connais intimement et qui me fait rire. L’image a pirouetté un instant avant de disparaître et je me suis dit, tu vois, cela fait tellement peu de bruit qu’on ne le remarquerait pas, mais l’amour est là.
Il est là, ne t’en fais pas.