Magazine Humeur
Je n’ose vous raconter quelle a été ma non-surprise hier – non-surprise néanmoins qui justifie une fois de plus la raison d’être de ce blog – en regardant BFM TV. Karine de Ménonville introduisait la chronique économique quotidienne de Nicolas Doze. Celle-ci traitait aujourd’hui de la Grèce et plus précisément de l’échéance de ce soir qui est cruciale pour l’avenir de la Grèce et de la zone Euro étant donné que nous saurons si les prêteurs privés préfèreront la restructuration de la dette grecque ou déclarer une situation de défaut. Karine de Ménonville a alors qualifié le sujet abordé de « très complexe, donc peu médiatisé ».
De la bouche d’une journaliste, nous obtenons donc l’aveu qu’il y a une relation de cause à effet entre la complexité des sujets et leur degré de médiatisation.
C’est une non-surprise dans la mesure où les citoyens éclairés qui regarderaient / écouteraient la plupart des grands médias avec un esprit critique s’en rendraient compte très rapidement. Loin de nous l’idée d’exagérer une petite phrase de Karine de Ménonville, qui n’a certainement pas prononcé cette phrase à dessein. Néanmoins, nous pouvons y voir peut-être une première explication du niveau médiocre de la campagne présidentielle, résumée par le simplissime syllogisme suivant : les médias traitent peu les sujets complexes ; La plupart des sujets politiques sont complexes ; donc la campagne présidentielle est très superficielle.
C’est ce qui pousse les journalistes à mettre le projecteur sur Sarkozy qui quitterait la politique s’il perdait l’élection plutôt que sur ses idées pour la France, sur des thèmes cloisonnés comme « le pouvoir d’achat », « l’emploi », « l’éducation », sans suggérer une seule seconde que tous ces domaines sont intimement liés et interdépendants, et que le débat gagnerait à prendre une dimension transversale. Cela encourage aussi à en tirer des conclusions prématurées et par là adopter une vision binaire, souvent manichéenne : Qui est le méchant ? Qui est la victime ? La faute à qui ?
Cette non-surprise est donc accompagnée de déception à l’égard de l’institution médiatique, moi qui pense naïvement qu’elle devrait être le poumon du débat démocratique en questionnant justement sans arrêt la complexité de notre société et du monde afin d’en donner les clés de compréhension aux citoyens. Mais c’est aussi une non-surprise accompagnée d’une question : pourquoi les sujets complexes sont-ils délaissés ? Deux pistes de réponse :- - Ces sujets n’intéressent pas les gens, ce qui sous-entendrait que les gens attendent des médias de l’information simple, du people, de la réflexion de comptoir avec des coupables et des victimes, des cris du cœur, de l’émotion, et donc en campagne présidentielles se satisferaient de solutions simples. Ils se lasseraient de la complexité au point de zapper et d’aller regarder/écouter le concurrent. Pour résumer, l’institution ne fait que s’adapter aux cons qui la regardent/l’écoutent.
- - C’est l’institution médiatique qui s’est pervertie. Les lois du marketing se sont imposées au détriment de la qualité de l’information et ont remodelé le débat politique dans une forme plus « différentiante » favorable à la quête de la petite phrase, de l’idée choc, de l’invective, qui seront-elles-même source d’audience.
C’est un peu le problème de la poule et de l’œuf. La demande a-t-elle tiré l’offre ou, comme dirait J.B . Say, l’offre a-t-elle créé sa propre demande ? C’est peut-être un peu des deux, mais cela n’enlève en rien à la gravité du constat, à savoir la dégradation de la qualité de l’Information (avec un grand i) et du débat démocratique.