S’il y a un inconvénient à être expatrié, il prend tout son sens pendant la campagne présidentielle : on se sent un peu a l’écart de l’émulation générée par cet événement républicain majeur où les Français choisissent leur Président. Bien que le niveau intellectuel très médiocre de la campagne en cours me console quelque peu de cet éloignement, tout de même, il reste un petit vide.
C’est pour retrouver un peu de cette effervescence que j’ai donc décidé, avec le concours du progrès technique qui permet maintenant de suivre en direct sur internet depuis l’étranger les émissions politiques en direct le temps de la campagne (heureusement parce que pour Masterchef, ce n’est pas possible), de regarder Mots Croisés ce lundi soir. A six jours du premier tour, les dix candidats étaient représentés, soit par eux-mêmes (pour le club des 2% d’intentions de vote et moins), soit par un de leurs porte-paroles/directeur de campagne (pour les autres), et leur temps de parole chronométré, le tout orchestré par un intraitable Yves Calvi, qui a appris à couper la parole depuis C dans l’air. Je suis sévère, il n’a pas été (trop) mauvais ce soir.
En réalité, l’émission confinait davantage à l’exercice de style qu’à un réel débat politique, car débattre à dix sur plusieurs sujets avec en tout et pour tout à peine douze minutes de parole chacun, cela revient un peu à faire une partie de tennis à dix sur le terrain. Et alors que mon esprit tendait à percevoir l’émission davantage comme un divertissement qu’un débat politique, j’ai soudainement été frappé par une chose : globalement la variété des opinions était représentée dans la discussion, à l’exception d’une, et pas des moindres, le libéralisme. J’ai pourtant eu un grand espoir à un moment, non sans surprise, en écoutant Nathalie Arthaud casser le consensus général autour du protectionnisme en affirmant – à raison, agrégée d’économie quand même – qu’une telle politique appauvrit les consommateurs. Espoir néanmoins rapidement évaporé lorsqu’elle a déclaré lui préférer la destruction du système capitaliste.
Oui il manquait un libéral, un vrai, tel celui qui ose défendre, de toute la force et de la naïveté de sa conviction profonde, que la destruction créatrice Schumpeterienne devrait rassurer les ouvriers qui perdent leur emploi, que le dumping social chinois n’est pas un problème – ils ne font que profiter de leur avantage comparatif, et que la crise actuelle est due à un déficit de libéralisme, et non à son excès ! Là le débat aurait été réellement démocratique ! Quand on y pense, l’absence d’un candidat libéral dans cette campagne est un phénomène vraiment étonnant. Non seulement il est surprenant qu’il ne s’en trouve aucun pour défendre le système en place (qui est un système libéral après tout), mais cela l’est d’autant plus qu’il s’en trouve en face plusieurs à prôner sa destruction. Regardez, il y a au moins 2,75 équivalent-candidats antilibéraux [1 x (Arthaud + Poutou) + 0,5 x Mélenchon + 0,25 x Joly], et encore en étant conservateur sur les pondérations. Les deux premiers disent d’ailleurs exactement la même chose, ce qui fait in fine un sacré écho. L’antilibéralisme semble même avoir gagné tous les partis. Le banquier et les actionnaires sont les ennemis bien au-delà les frontières de l’extrême gauche et tous les candidats sans exception se plaisent à vanter l’Etat protecteur face à la tyrannie des banques et des marchés.
Le dernier vrai candidat libéral à l’élection présidentielle française était Alain Madelin en 2002, personne n’a pris la relève depuis. Les idées persistent au sein de groupes politiques divers et associations, mais aucune figure n’a pour le moment réussi à émerger afin de défendre la vision libérale et de tenter de montrer que la crise du modèle ne signifie pas pour autant la fin de celui-ci. Si je ne suis pas moi-même, à proprement parler, un défenseur de l’orthodoxie libérale, je dois avouer avoir un petit pincement au cœur à ne voir personne incarner la voix du libéralisme.
Il ne faut pas oublier que le libéralisme est né d’une foi profonde dans la capacité de l’homme à être l’artisan de son propre progrès, non parce qu’il se bat mais parce qu’il échange. L’homme est intrinsèquement bon et aspire à la liberté, d’après les libéraux, et dans la recherche de son propre bien-être, il substitue l’échange économique au rapport de force physique, dans l’intérêt de tous. Le libéralisme ne s’arrête d’ailleurs pas à l’économie et a investi le champ de la politique : il n’est pas étranger aux principes fondamentaux sur lesquels sont bâtis les Etats de droit et les démocraties modernes. Il sert aussi de fondement à plusieurs courants des relations internationales, et notamment celui qui a créé le principe de sécurité collective – auquel même les partis les plus à gauche sont attachés. Cette dimension politique du libéralisme est d’ailleurs souvent oubliée en France, alors qu’outre-manche et ou outre-atlantique, le qualificatif liberal a une connotation clairement de gauche, en opposition à conservative, résolument de droite.
L’amour de la liberté n’est au fond ni de gauche, ni de droite, et la logique voudrait que cet amour transcende les partis dans une élection aussi importante que celle qui a lieu dimanche. Après tout, notre liberté ne s’arrête que là où commence celle des autres. L’homme aspirerait donc naturellement au libéralisme, puisqu’il ne peut fonder son bonheur et son bien-être sur autre chose que la liberté. Mais l’absence de libéral assumé et la haine du libéralisme affichée dans cette campagne sont en réalité moins dues au refus de liberté qu’à la haine des dérives d’un système aux principes souillés par la cupidité et l’immoralité de quelques uns, diffusant tout autant la pauvreté pour un grand nombre que la richesse pour une minorité. Le candidat libéral absent concentre ce ressentiment général contre ce système plein de promesses mais générateur de déceptions et frustrations, si beau dans les livres mais si injuste en apparence.
On serait tenté de croire que l’absence d’un candidat résolument libéral marque le début de la fin du libéralisme. Mais je suis, personnellement, convaincu du contraire : ce candidat est bel et bien présent, et il l’est d’autant plus qu’il n’est pas assimilé à un visage. Il est en réalité caché au milieu de tous les autres ; dans Sarkozy et Hollande dont les partis ont contribué à consolider depuis plus de trente ans le système libéral actuel ; dans Bayrou, qui a une vision du produire français par la compétitivité et non le protectionnisme ; dans Arthaud, qui refuse aussi le protectionnisme (je plaisante) ; dans Dupont-Aignan, Le Pen et Mélenchon, peu avares de compliments et d’admiration envers les petits entrepreneurs, sources d’innovation et créateurs d’emploi ; dans Cheminade, défenseur du Nucléaire etc. Et puis, rappelez-vous que la France était censée élire DSK. Au milieu des relents populistes et protectionnistes, la plupart des candidats sont et restent, inconsciemment peut-être, les candidats d’un système dont ils ont assimilé et parfaitement accepté les principes. Ils sont la nième génération de politiciens qui font la pêche aux voix avec un discours contre le système, mais qui s’aligneront avec lui une fois élus.
Certes Louis XVI est le roi qui a tué la monarchie en France ; certes des élections ont déjà amené des dictateurs ; mais ce serait nier les ressorts de notre système libéral – notamment dans notre inconscient individuel et collectif – de croire qu’il assiste, de manière impuissante, à l’avènement inéluctable de celui qui va le bouleverser. En effet, celui-là devra d’abord assumer, devant l’opinion, la dégradation probable de notre appareil économique, créateur de richesses, ce qui est durablement impossible. C’est l’un des grands paradoxes de la France d’être l’un des derniers pays communistes du monde où le libéralisme a encore de beaux jours devant lui.
Bref, libéraux, vous pouvez dormir tranquille, même pas besoin de candidat.