Magazine Humeur
N. Sarkozy est certainement le président le plus malchanceux de la Vè République avec V. Giscard d’Estaing. Le mandat de ce dernier avait expérimenté la fin des Trente Glorieuses et deux chocs pétroliers, ainsi que leurs conséquences en termes de chômage de masse. Celui de N. Sarkozy a subi le début de la crise des subprimes dès l’été 2007, la chute de Lehman Brothers et la crise financière, la crise économique, et la crise de la dette souveraine en zone euro – inachevée. Difficile de faire pire, et encore plus difficile d’être réélu dans ces conditions. Et pourtant, je me demande si François Hollande n’est pas en passe de le détrôner, et de loin, du titre du Président le plus infortuné de la Vè République.
Car l’élection présidentielle française n’était qu’un épiphénomène le week-end dernier en comparaison de ce qui se passait en Grèce au même moment, à savoir les élections législatives. Et les résultats de celles-ci font la part belle aux partis mélenchonistes et le-penistes locaux, sans qui il sera – sauf erreur de ma part – impossible de gouverner. Or ces partis, hostiles à l’austérité et à l’UE en général, comptent rejeter les mesures de rigueur budgétaires, se privant ainsi d’aides financières de l’UE, le tout devant aboutir inéluctablement à la faillite de la Grèce, et donc à son éviction de la zone euro. C’est le scénario catastrophe, et il est tout à fait plausible. Il l’est d’autant plus que le plan de sauvetage de la Grèce, âprement négocié par les différentes parties, avait déjà une forte probabilité de tomber à l’eau malgré le concours du gouvernement technocratique – donc conciliant. Un départ de la Grèce de la zone euro serait catastrophique pour l’ensemble des pays en raison de l’effet de contagion. La plupart d’entre eux, à l’exception de l’Allemagne, sont déjà dans le collimateur des agences de notation, et le cas de Grèce serait le précédent qui convaincrait bon nombre d’investisseurs de fuir définitivement la zone euro.
C’est donc une crise de taille qui attend François Hollande, une crise même inédite dans l’histoire de l’Europe. Par ailleurs, cette crise devra être abordée rapidement étant donné que la Grèce a plusieurs émissions de dette prévues en mai et juin. Or le contexte est tout à fait nouveau pour le couple franco-allemand, « moteur » de l’Europe. Le désaccord entre F. Hollande et A. Merkel sur le pacte budgétaire est notoire, et ils ne sont pas du même bord politique. Les deux chefs d’Etat n’auront pas le temps d’apprendre à travailler ensemble et de régler leurs différends avant de devoir trouver des solutions à la sempiternelle crise grecque. L’entente entre N. Sarkozy et A. Merkel avait été un facteur de succès important dans la gestion des crises précédentes, le nouveau Président français devra donc faire preuve d’efficacité s’il ne veut pas devenir le Président de la chute de l’Euro.
Inutile de dire que cela sera très compliqué, notamment parce qu’il a été élu sur des bases vraiment démocratiques, et non pour mettre en œuvre un programme économique dicté par l’Europe. En roi du grand écart, il a réussi à convaincre qu’il réduirait les déficits publics sans règle d’or ni politique d’austérité, et avec une politique sociale expansive, une relance keynésienne, et un accroissement des effectifs de fonctionnaires. Il apparaît donc que Hollande devra vite choisir entre la préservation de l’unité européenne, notamment par son positionnement vis-à-vis de l’Allemagne, et le respect de ses engagements vis-à-vis de ses électeurs, bref entre l’austérité ou l’éclatement de l’Europe. Car la France est dans cette situation particulière qu’elle n’est pas suffisamment forte pour obtenir de l’Allemagne des concessions telles que les Eurobonds, la renégociation du pacte budgétaire ou la taxe sur les transactions financières, mais son importance économique est suffisante pour faire définitivement sombrer l’Euro en cas de crise de la dette française. Le risque est fort que le grand écart de F. Hollande se transforme en écartèlement de type Ravaillac s’il n’établit pas des priorités dans son agenda économique. La question est donc au fond de savoir qui de l’Europe ou des classes populaires à qui il promet de la « justice sociale » sera sacrifié sur l’autel de sa politique économique.
Il sera intéressant d’analyser la teneur des premiers sommets européens et des premières rencontres franco-allemandes afin d’y voir plus clair dans les priorités économiques de François Hollande, à moins qu’il fasse preuve d’une force de conviction telle qu’il arrive à emmener ses compères européens sur le chemin de sa vision de la politique économique européenne. Mais il ne faut pas oublier que pour être crédible, il faut avoir un pouvoir d’influence, et être résolu à l’utiliser si nécessaire. Or, du fait de la position relative de la France par rapport à l’Allemagne et du faible track record politique de Hollande, nous pouvons légitimement nous inquiéter de ces deux aspects, et donc de la capacité de la France à faire bouger les lignes en Europe. Ce sera le baptême du feu de Hollande, et il arrive prématurément.
Bref, de la Corrèze à l’Elysée, il n’y a qu’un pas, mais nous ne pouvons qu’espérer pour une fois que Mao ait raison quand il dit que « l’expérience est un peigne pour les chauves ».
Et vous, qu’en pensez-vous, quelle sera la politique économique de François Hollande ?
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Toute ressemblance avec l'article d'un grand quotidien français serait purement fortuite