Eurobonds, Eurobills, la France est pionnière des propositions de sortie de crise par le biais de l’innovation financière. Qui l’eut cru ? Cela est en effet tout à fait surprenant lorsque l’on prend un peu de recul. Les échanges virulents entre A. Merkel et J.M. Ayrault la semaine dernière tiennent de l’absurde : la première défend l’intégration économique et budgétaire en zone euro, ce que refuse le second ; et les Socialistes français veulent faire de la création de nouveaux outils financiers le premier pilier du retour à la croissance en Europe. On croit rêver.
Certes, il y a des raisons à ces prises de position surprenantes au premier abord : derrière le projet de Merkel de vouloir une avancée dans l’intégration budgétaire européenne, il y a sa volonté de mettre en place des mécanismes de contrôle des finances publiques des voisins dispendieux ; de même que le projet français d’Eurobonds et Project Bonds laisse place à une vision keynésienne de la croissance par les grands projets d’infrastructures et la dépense publique en général. Néanmoins, la contradiction demeure.Comment un pays peut-il à la fois chercher son salut dans la création de nouveaux outils financiers alors qu’il cherche dans le même temps à définanciariser l’économie, que ce soit par la mise en place d’une taxe sur les transactions financières ou par une plus grande régulation des marchés ? Le mystère reste entier. Selon moi, c’est la même logique qui a mené aux innovations financières qui ont elles-mêmes abouti à la création de produits financiers du type des subprimes. On est tellement confiant dans la technique du produit qu’on en oublie les principes les plus fondamentaux de la finance : on ne prête pas à des contreparties insolvables, même si la valeur du collatéral est supérieure à celle du prêt. Les Eurobonds sont de la même veine : les Etats sont individuellement insolvables, mais en mutualisant leurs dettes ils disposent de certaines marges de manœuvre – jusqu’au jour où ils n’en auront plus du tout. Là aussi on oublie un axiome fondamental, à savoir qu’on n’emprunte pas au-delà de ses capacités de remboursement.
Les instruments financiers au sens large ne peuvent jamais constituer une solution miracle car ce ne sont que des outils permettant d’optimiser la gestion du risque, la capacité à se financer, etc. Ils ne peuvent en aucun cas être une fin en soi et leur utilité ne sera effective que s’ils sont utilisés de manière adéquate et dans une stratégie de financement globale et cohérente. En ce qui concerne les Eurobonds, ils prendront tout leur sens lorsque les décisions économiques seront prises au niveau d’un gouvernement économique européen. Ils sont la conséquence logique de cet état de fait, et non son préalable. La raison à cela est que le manque d’Eurobonds n’est pas une cause de la crise de la dette en zone euro. Ces causes sont l’indiscipline généralisée des Etats dans la gestion de leurs finances publiques, le manque de compétitivité, et l’absence de politique économique commune faisant courir un risque sur l’ensemble de la zone euro. Seule une action sur ces causes sera en mesure d’enrayer durablement la crise de la dette en Europe. Les Eurobonds ne sont qu’une solution temporaire destinée à diminuer temporairement le coût de la dette (sauf pour l’Allemagne, le meilleur élève en Europe), un palliatif susceptible de gagner du temps en accroissant d’un cran la redistribution des Etats vertueux vers les plus en difficultés.
En outre, il y a une contradiction majeure dans ce projet d’Eurobonds tel qu’il est vu par nos gouvernants (qu’il s’agisse de N. Sarkozy ou de F. Hollande), puisqu’il consiste à s’en remettre davantage aux marchés financiers par l’émission d’un nouveau type de dette, alors que le projet affiché est de vouloir gagner son indépendance vis-à-vis de ces mêmes marchés. De même, cela est contradictoire avec le projet de taxe sur les transactions financières, qui va inévitablement décourager un certain nombre de transactions et affecter l’efficacité des marchés. Or, s’en remettre davantage aux marchés financiers nécessite qu’ils fonctionnent le mieux possible et qu’ils soient le plus liquides possible, afin d’être attractif pour les investisseurs.
Ce florilège de contradictions révèle en réalité le profond dilemme dans lequel se trouvent nos dirigeants, celui dans lequel était Sarkozy et celui dans lequel se retrouve encore plus F. Hollande : bien qu’ils aient toujours défendu par le passé une intégration économique plus poussée en Europe. Défendre ce projet aujourd’hui reviendrait à accepter la rigueur tout en donnant à l’Allemagne la possibilité de la faire appliquer chez les autres, et donc sans possibilité de revenir en arrière. Pour un Président qui a été élu sur un discours de refus de l’austérité, toutes les échappatoires sont bonnes, y compris chercher dans l’innovation financière des pseudo-solutions ou inventer un débat inexistant sur la croissance dont il serait le seul et unique défenseur.
Les résultats des élections françaises et grecques vont donner à F. Hollande quelques bouffées d’air avant de prendre ses premières grandes décisions, mais il devra néanmoins très rapidement clarifier ses positions sur l’Europe, l’économie et les finances publiques, avant de chercher des solutions ailleurs que chez « l’ennemi sans visage » contre qui il paraît qu’il est entré en guerre.