On pourrait consacrer plusieurs pages rien qu'à analyser le titre, empli de doubles sens, de cette exposition. Mirages....grenades....je vous laisse méditer. L'Orient, il y a quelques siècles, était une terre promise pour les artistes, source intarissable d'inspiration. Aujourd'hui elle alimente surtout l'actualité à cause des nombreux conflits qui y prennent place. Entre fantasme d'antan et réalité contemporaine, invitation au voyage.
Henri Matisse, Odalisque au
coffret rouge, 1926. © Succession Henri Matisse
Je ne m'attendais donc pas vraiment à trouver là, dans la première salle, une série de photographies de Robert Rauschenberg. D'abord parce qu'il n'est pas censé être photographe, ensuite parce qu'aux dernières nouvelles, il était Américain. Malgré un froncement de sourcil, et trente-quatre relectures du cartel, je finis par me faire à l'idée. Puis je comprends que nous sommes dans le Tanger des années cinquante, où s'étaient installés certains artistes de la Beat Generation, attirant toute la jeunesse américaine dans leur sillage.
Le Corbusier, Mosquée
Suleimanie à Istambul (Voyage d’Orient), 1910, crayon noir sur
papier. © Fondation Le Corbusier
De Tanger 1950, aux pancartes de la place Tahrir ramassées en 2011 par Moataz Nasr, le parcours de l'exposition dans un aller-retour incessant entre orientalisme traditionnel et art contemporain, nous offre un panorama de la culture orientale à travers les regards croisés d'artistes de toutes les époques. Ainsi, le début de l'exposition est très riche en croquis de carnets de voyage, dessins d'architecture de Le Corbusier, corps alanguis peint par les artistes orientalistes du XIXe, étoffes traditionnelles, armes, corans, et même mobilier. Puis, lentement, par petites touches d'abord, des œuvres d'art contemporain, ici, une photographie de Saïd par Pierre et Gilles, là, un désert en semoule de couscous par Kader Attia, pour au fur et à mesure des étages, avoir à faire à des œuvres hyper contemporaines. Certains visiteurs ont moyennement apprécié le procédé, et se sont sentis piégés dans ces dernières salles bien loin de l'orientalisme de Delacroix qu'ils étaient venus chercher.
Pierre et Gilles, Said,
modèle: salim Kechiouche, 1999, photographie peinte, collection
privée. © pierre et Gilles /ADAGP
Or la fondation Lambert, c'est d'abord une collection d'art contemporain. Yvon Lambert a commencé à réunir des œuvres d'artistes américains dans les années 1960, et il continue aujourd'hui d'enrichir sa collection en vidéos et installations. L'exposition permanente est souvent remplacée par une exposition temporaire comme c'est le cas ici, où œuvres prêtées et œuvres issues de la collection sont mises en regard.
Ainsi, des stars de l'art contemporain jalonnent notre parcours. Boltanski dans les escaliers, Mona Hatoum au rez-de-chaussée. Cependant, ce sont des artistes que je ne connaissais pas encore qui ont le plus retenus mon attention. Yan Pei Ming, aquarelliste virtuose qui représente en noir et blanc des portraits de personnalités très controversées du monde arabe. Ou encore Walid Raad qui nous propose une série de photographies, dont les premières semblent abstraites, puis au fur et à mesure, les tâches se transforment en avion, en explosions dans le ciel, jusqu'à ce que l'on comprenne qu'il s'agit de photographies de guerres prises la nuit.
Yan Pei-Ming, Asma et
Bachar El-Assad, 2012, diptyque, aquarelle sur papier. Courtesy
de l’artiste
Il ne s'agit ici que de quelques bribes piochées dans ce parcours le long duquel il faut se laisser porter, et qui laisse autant rêveur que mal à l'aise. Le « chassé croisé » entre monde méditerranéen traditionnel et art contemporain, bien que peut-être un peu opportuniste, m'a paru plutôt pertinent et les œuvres exposées sont d'une qualité remarquable. N'oubliez pas de terminer votre visite à l'église des Celestins, qui, pour l'occasion, devient la caisse de résonance incongrue d'un couteau qu'on aiguise en vue de la fête de l'Aïd dans l'installation vidéo de Douglas Gordon et du fameux joueur de flûte d'Adel Abdessemed (un imam jouant de la flûte nu). C'est avec un sourire en coin que je soupçonne la fondation Lambert d'être un peu friande de polémique, quoi qu'il en soit, celle-ci a encore de beaux jours devant elle.
Ophélie
Infos Pratiques
Musée d’art contemporain
5, rue Violette, 84000 Avignon
Horaires d’ouverture
de septembre à juin :du mardi au dimanche, de 11:00 à 18:00
juillet et août :tous les jours de 11:00 à 19:00
Tarif plein : 7 €
Tarif réduit : 5,5 €
Tarif Pass (entrée avec les autres musées et monuments d’Avignon)
Tarif enfants (6-12 ans) : 2 €