Les talents sont et seront de plus en plus mobiles à l'international, conséquence d'évolutions dans l'économie mondiale. Alors que la "guerre pour les talents" s'intensifie à mesure que les hauts potentiels ont de plus en plus d'opportunités, la France, elle, se délite.
Par Baptiste Créteur.
À force d'être émergents, certains pays ne le sont plus vraiment et le paysage se transforme : le nombre d'employés mobiles au sein des grandes entreprises dans l'échantillon interrogé par PriceWaterhouseCoopers, qui avait crû de 25% entre 1998 et 2009, devrait, selon les estimations du cabinet, croître de 50% entre 2009 et 2020.
L'évolution du nombre de localisations pour ces mêmes organisations suit la même tendance : le nombre de pays dans lesquelles elles sont implantées devrait croître de 50% sur la même période.
La technologie et le progressif alignement des pays, aussi bien en termes d'environnement économique que de coopération et de niveaux de salaires, permettent la multiplication des localisations. Le vieillissement de la population requiert des entreprises qu'elles s'adaptent et s'assurent de disposer des compétences dont elles ont besoin aux endroits où elles en ont besoin. De plus en plus de pays voient émerger les talents et leur offrent des opportunités.
La concurrence entre les entreprises, les talents et les localisations suppose qu'ils s'y adaptent. Ces évolutions ne bénéficieront qu'à ceux qui sauront en tirer profit. Les pays développés attirent toujours, et la France est aujourd'hui plutôt bien classée dans les esprits de ceux qui envisagent de s'expatrier. S'ils trouvent des opportunités de s'installer ailleurs, 31% des candidats à l'expatriation citent la France. Mais des opportunités, en France, il n'y en a pas.
Le chômage est en croissance, la croissance est au chômage ; les investisseurs étrangers et les talents français désertent la France ; l’État-providence et l'interventionnisme ont entretenu une croissance artificielle qui a aujourd'hui disparu sans même que la dépense publique n'ait diminué alors qu'apparaissent des problèmes d'insécurité liés à des revendications sociales d'un autre temps. Les opportunités en France s'amenuisent à mesure que sont prises par des représentants du peuple toujours plus déconnectés de la réalité des décisions inopportunes.
Alors que de plus en plus de pays cherchent à attirer les talents et les entreprises, la France se dote d'un arsenal pour retenir ceux qui ne sont pas encore partis par la contrainte plutôt que par une attractivité accrue. L'irrationalité des hommes politiques se heurte à la rationalité des chefs d'entreprise, qui prennent la peine d'énoncer et d'expliquer ce qui devrait être devenu évident aux yeux du monde entier : la France se complaît dans le déni et revendique fièrement un modèle social dépassé que ses dirigeants s'évertuent à défendre au mépris du bon sens.
Tandis que la France regarde le monde avec mépris – et n'a de sympathie que pour ceux qui la rassurent et la confortent dans l'idée que le monde entier, grand capital apatride en tête, se ligue contre les pays où l’État dépense sans discernement et est perçu comme la panacée – les évolutions se font sans elle, et la France rate les mutations de l'économie mondiale en même temps que les innovations technologiques. Les Français pourront donc tenter de saisir les opportunités d'une mondialisation toujours source de méfiance en France, mais l’État ne les laissera pas faire.
Même s'ils échappent au marasme économique qui s'annonce dans leur pays d'origine, les Français n'échapperont pas à l’État qui l'aura causé. Les services offerts par l’État et financés par les citoyens constituent à ses yeux une créance à vie, un droit de percevoir une partie du fruit du travail des Français, où qu'ils soient dans le monde. L’État forme d'ores et déjà ses percepteurs sans frontières, veut à tout prix les impliquer dans un processus démocratique qui a depuis longtemps dépassé ses prérogatives, et se targue d'un contrat social qu'un acte de naissance suffirait à rendre valide.
Après la collectivisation des entreprises, c'est la collectivisation des individus que l’État met en marche en faisant des citoyens ses sujets. Les partisans d'un protectionnisme illusoire et destructeur voudraient priver les Français des bienfaits de la mondialisation ; les partisans d'un État tout puissant veulent priver les Français du reste du monde, les obligeant à renoncer à s'expatrier ou à leur passeport.
Ce que le reste du monde a compris, la France le refuse : le socialisme ne fonctionne pas. Elle attirera donc les talents qu'elle mérite, avec sa vision propre de la méritocratie, qui vise à offrir d'égales chances à tous quitte à ce que ces chances soient nulles et à mettre tous les individus sur un pied d'égalité quelles que soient leurs compétences et aptitudes. Ce nivellement systématique par le bas n'épargnera que les Français plus égaux que les autres, qui maintiendront aussi longtemps que possible leurs privilèges – même si cela exige de condamner les Français à vivre dans une prison de moins en moins dorée. Alors que les citoyens d'autres pays profiteront d'une mobilité accrue, les Français paieront alors le prix de leur immobilisme.