Soit 1 habitant sur 6. Ça laisse pantois, alors que la richesse mondiale et les progrès techniques et médicaux ne cessent de croître et que seulement 30 milliards par an suffiraient à éradiquer la faim dans le Monde.
Selon les estimations de la FAO, le monde compterait environ 870 millions de personnes sous-alimentées. Ce chiffre découle, non d’un recensement, mais d’une méthodologie selon certaines hypothèses de calcul. En 2012, la FAO a revu ces hypothèses dans un sens plus réaliste. Ce qui conduit à estimer le nombre de personnes sous-alimentées à… environ deux milliards.
« Le rapport de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) sur l’état de l’insécurité alimentaire 2012, publié en automne dernier, a présenté de nouvelles estimations du nombre et de la proportion de personnes sous-alimentées.
La méthodologie aboutit à estimer que la sous-alimentation chronique touche encore 870 millions de personnes dans le monde, dont 850 millions dans des pays en développement. Il n’y a pas eu de scoop ni d’agitation particulière autour de cette publication.
Et pourtant… une observation importante mérite d’être faite. La méthodologie d’estimation du rapport 2012 a en effet été ajustée, et parmi les innovations s’en trouve une qui peut questionner drastiquement les chiffres retenus et diffusés, et l’optimisme ambiant (très relatif il est vrai) concernant l’objectif du millénaire N°1.
C’est un indice de prévalence de l’inadéquation de l’alimentation qui a été utilisé, et non plus l’ancien indice de privation chronique d’alimentation.
Ce nouvel indicateur est analogue conceptuellement à l’ancien, mais :
1) il est calculé en établissant le seuil calorique de la sous-alimentation par rapport aux besoins énergétiques à un niveau plus élevé ; et surtout
2) le seuil calorique retenu peut maintenant être décliné en fonction des besoins énergétiques de trois différents styles de vie : activité physique modérée, normale et intense. Et c’est selon chacun de ces trois styles de vie que l’indice permet de mesurer maintenant le pourcentage de la population qui est en risque de ne pas couvrir ses besoins alimentaires.
Dans un souci de transparence, la FAO publie sa méthodologie dans l’annexe technique du rapport. Personne n’y a prêté garde. Il y apparaît cependant que le chiffre de 870 millions de personnes repose sur l’hypothèse d’un style de vie à activité physique « modérée ».
Impact sur les estimations de la faim des définitions alternatives du minimum énergétique diététique requis - Annexe 2, p. 55 du SOFI
Voilà qui est surprenant, peut-on se dire. En effet, les trois quarts des personnes souffrant de la faim sont des ruraux des pays en développement pour lesquels cette hypothèse ne saurait s’appliquer (que l’on pense aux femmes et enfants dans les travaux aux champs pour la préparation du sol et les récoltes, les distances parcourues pour avoir accès à l’eau, au marché, au bois, les journées de dur labeur comme journaliers… s’agit-il d’activité physique modérée ?).
Si l’on applique l’hypothèse d’une activité « normale », le chiffre des personnes affectées par la sous-alimentation passe à 1,5 milliards de personnes. Si on retient l’hypothèse d’une activité « intense »(plus réaliste au style de vie paysan), ce chiffre passe à 2,5 milliards de personnes.
Il semble sur ces bases que ce n’est donc pas le chiffre de 870 millions d’affamés qu’il faut avoir en tête, mais quelque chose entre 1,5 milliards et 2,5 milliards d’affamés.
• Lien vers le rapport “SOFI” en anglais dans son intégralité (State of Food Insecurity).
Frédéric Dévé pour Reporterre
Frédéric Dévé est agro-économiste et consultant indépendant. Il a aussi publié cet article sur Agter. »
Source: Reporterre