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Vivre avec l’autisme
Isabelle Binggeli, Volume 16, no. 4, Avril-Mai 2008
«Pour la première fois, nous envisa-geons des vacances d’été, tous ensemble!», lance avec enthousiasme Hélène Picard, une jeune mère de 33 ans. Elle et son conjoint Maxime sont devenus des experts dans l’organisation de la routine quotidienne et des projets familiaux. Les déplacements et les activités de leurs deux garçons sont rigoureusement planifiés, le moindre détail pensé et corrigé si nécessaire. Zélés, direz-vous? Non, ils sont simplement les parents de Zachary et Cédric, diagnostiqués autistes alors qu’ils étaient âgés respectivement de 4 ans et 19 mois.
Le cadet, Cédric, est depuis sa naissance un enfant à la santé fragile. En plus de ses problèmes d’alimentation, il présente également des signes de retard du développement, ne réagissant toujours pas à l’appel de son nom à l’âge de 7 mois. «Nous croyions qu’il était un petit peu plus farouche, plus difficile à apprivoiser», raconte sa mère en évoquant ses souvenirs. «Nous ne comprenions pas ses réactions; le moindre mouvement, bruit ou lumière pouvait déclencher chez lui une crise.» L’autisme est diagnostiqué rapidement chez le jeune Cédric et ses parents lui accordent encore plus d’attention. Bien malgré eux, le grand frère Zachary passe parfois inaperçu.
Ce dernier est un garçon extrêmement intelligent, qui sait compter et reconnaître toutes les couleurs en anglais et en français à l’âge de 2 ans. «Zachary avait et a toujours un énorme potentiel, il nous surprend constamment», souligne fièrement Hélène, «mais nos échanges avec lui pouvaient s’avérer laborieux. Nous le sentions souvent bien loin dans son propre univers, dans sa petite bulle.» En effet, alors que les parents décident d’inscrire leurs 2 fils dans un centre de la petite enfance, les éducateurs mentionnent le manque d’interaction entre eux et l’aîné. Son comportement indique des traits anxieux, un déficit de l’attention et des problèmes de communication.
Un deuxième constat frappe de nouveau: Zachary est également autiste, mais autiste de haut niveau. Dans son cas, cela se traduit par de grandes capacités d’apprentissage mais des aptitudes sociales jugées déficientes. La jeune mère de famille confie l’avoir pressenti: «Après le diagnostic de Cédric, nous avons suivi plusieurs formations sur les troubles envahissants du développement, nous sommes devenus membres de la Société de l’autisme de Lanaudière et avons énormément lu sur le sujet. Dès qu’on a formulé des doutes sur le comportement de Zachary, je savais bien vers quoi on se dirigeait.
Réorganiser sa vie
Ce deuxième contrecoup ébranle la famille ainsi que les proches. C’est Hélène qui réagit le plus violemment. Heureusement, son conjoint sait la rassurer, lui rappelant que leurs garçons sont toujours les mêmes malgré une situation difficile à accepter. «Les mères sont généralement plus émotives au début, mais elles se ressaisissent rapidement. Les pères deviennent les piliers sur qui s’appuyer», raconte-elle calmement. «Mais les hommes n’ont-ils pas leurs moments de peine et de détresse? «Mais si, les étapes de la vie telles que vécues normalement par les enfants les touchent davantage. C’est un pincement au cœur pour eux de voir un gamin enfourcher aisément la bicyclette, ou encore entendre un ami raconter sa fin de semaine à la pêche avec son fils. Pourtant, rien n’est impossible, ce sont les délais qui sont plus longs.» Dans ces moments délicats, c’est Hélène qui, à son tour, console Maxime et demeure forte pour sa famille.
Pour eux, la vie continue malgré une totale réorganisation de l’environnement familial. Tout est adapté aux besoins des 2 garçons, des séquences dessinées sur les murs rappelant l’ABC d’une toilette et du brossage des dents jusqu’aux armoires de cuisine barrées et serrures disposées en hauteur. La maman, qui reste à la maison, organise le déroulement des journées et veille à ce que ses enfants ne manquent de rien. Elle en a vu de toutes les couleurs. «Chez nous, négliger un minime détail peut déclencher une aventure complètement folle!» s’esclaffe-t-elle. «Tenez, cela fait plusieurs années que le tube de pâte dentifrice est posé sur le comptoir sans que personne ne lui prête attention. Mais voilà qu’un beau jour, Cédric décide de l’engloutir en entier!»
Si Hélène sourit beaucoup et semble d’un optimisme à toute épreuve, elle admet toutefois que certains instants sont pénibles: «Il arrive que, pendant des semaines, les garçons se lèvent à quatre heures du matin. Pour eux, la journée commence! On ne peut pas leur expliquer la réalité comme à d’autres enfants. Ils ne conçoivent pas le monde à notre manière. Imaginez, cela a pris quatre ans avant que Cédric ne fasse ses nuits!»
Néanmoins, avec le temps, les parents apprennent à gérer de mieux en mieux chaque situation et à anticiper les comportements et idées farfelues qui peuvent passer dans la tête de leurs fils.
Aller à l’école
Cédric et Zachary ont maintenant 6 et 7 ans. Le temps est venu pour eux d’aller à l’école. Ils sont intégrés dans les classes régulières avec l’aide d’une intervenante qui les accompagne 8 heures par semaine. Elle les aide notamment à mieux se concentrer, répète les consignes du professeur, les rassure afin de bien suivre les directives et les calme lorsque survient une crise. Dans leurs groupes, les deux garçons retrouvent des amis qui les connaissent depuis plusieurs années et qui s’accommodent très bien de leurs différences. Certains d’entre eux les prennent même sous leurs ailes.
Selon l’éducatrice spécialisée Corinne Lepage, ce scénario n’est pas monnaie courante. «Les élèves sont généralement très peu sensibilisés à ce qui touche l’autisme ou autre trouble envahissant du développement. Ils jugent ceux qui semblent différents et font parfois des commentaires méchants à leur endroit.» Elle souligne que les limites de temps, d’énergie et de budget se font ressentir: «Les professeurs qui ont un enfant avec un problème d’apprentissage dans leur classe ne sont souvent informés qu’à la dernière minute de son intégration. Ils en ont déjà plein les bras avec la discipline. Le temps qu’ils accordent à l’élève autiste, par exemple, n’est vraiment pas suffisant. Pour cette clientèle, ajoute Corinne avec conviction, il nous faut des ressources supplémentaires!»
Elle revient tout juste d’une formation intensive sur l’autisme et paraît plus que motivée: «Il y a tellement à faire avec ces enfants, et pas seulement à l’école! Ce serait tellement pertinent de travailler de façon systémique, c’est-à-dire de faire le lien entre l’environnement scolaire et familial. Par exemple, nous pourrions transposer à la maison certaines de nos approches éducatives utilisées en classe adaptée.» Cela favoriserait ainsi l’apprentissage et surtout, rassurerait ces enfants qui, comme Zachary, deviennent anxieux face à des instructions ou à des tâches à accomplir.
Même s’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour améliorer la compréhension entourant les personnes autistes, la jeune éducatrice insiste sur l’importance d’informer et de sensibiliser davantage la population. Même son de cloche chez Hélène qui est si fière de ses garçons. Chacune à sa manière, elles contribuent à bâtir un monde où la différence signifie l’opportunité de grandir tous ensemble.
Encadré
Quelques faits sur l’autisme
L’autisme est un handicap qui altère le développement normal de la communication, comme les interactions sociales en géné- ral. Il est régulièrement associé à d’autres troubles tels que l’épilepsie, l’hyperactivité et l’oligo-phrénie (faiblesse d’esprit). C’est durant les 3 premières années de la vie que se manifeste l’autisme.
Il figure parmi les troubles envahissants du développement (TED) et affecte près de 10 personnes sur 10 000, sans consi-dérations sociales, ethniques ou raciales. Cependant, on observe qu’il touche majoritairement les garçons (quatre pour une fille), et que ses causes et symptômes varient considérablement d’un enfant à l’autre.