Tués par balle en 2010 aux Etats Unis, par Periscopic
Malgré un titre volontairement aguicheur -j’assume-, je reconnais que, à première vu, le sujet rien de bidonnant… et l’image que j’ai choisi de mettre à la une n’est pas faite pour vous rassurer. Et pourtant !
Le poids des datas
A l’heure d’internet et du numérique, la donnée (data) est considérée comme à la base de toute connaissance et information. La donnée est dès lors le socle épistémique de cette société de l’information, qui s’est développé dans la continuité de la société industrielle.
Alors que l’informatique est entré de plain pied dans notre quotidien, tout est devenu donnée. Les données, recoupées, classés et regroupés par taxinomies, devenus intelligentes car prenant en compte le contexte, sont devenues de plus en plus précises, et ouvrent de nouvelles perspectives de connaissance.
Mais détenir des données, ce n’est pas seulement savoir, mais également pouvoir.
Il suffit pour s’en convaincre de regarder combien les politiciens font un usage immodérés des sondages et autres enquêtes de popularités pour appréhender ce fantasme collectif.Au travers de notre série d’article sur la publicité comportementale, on a pu appréhender l’avantage économique de cette acquisition de données, au travers de publicités ciblées, les régies permettent d’assurer un taux de conversion élevé (vous pousser à acheter), quite à jouer avec la légalité et la récupération de données personnelles. La collecte et l’analyse des données modifie déjà la société en influant directement sur nos achats ou nos schémas de pensée. Cette toute puissance de la donnée repose sur un étrange axiome, l’analyse des données permettrait de prévoir les comportements des marchés tout autant que des individus…
La visualisation de données en folie
Statistiques mise en image par Go-gulf.com
Avec l’essor de l’informatique et d’internet, le nombre de données et les échanges n’ont cessé de croître. Il s’agit dès lors de les regrouper en ensemble et de leur donner une représentation graphique, c’est la visualisation de données. Le terme quelque peu barbare ne doit pas camoufler un instrument d’une affligeante banalité auquel tout un chacun a été confronté : diagramme (à bâton ou circulaire), histogramme, carte statistique, représentation graphique d’une série temporelle (une courbe quoi !)…
La traditionnelle pyramide des âges en prend un sacré coup.
En somme ce type de représentation était souvent très ennuyeuse, et la couleur (quand il y en avait) n’arrivait qu’à rarement égayer le tout.
C’était sans compter l’inventivité de certains graphistes qui ont mis leur savoir faire au service de cet art ingrat, réussissant ainsi à mettre au goût du jour nos diagrammes et autres. Couleurs, formes originales, utilisation de la 3D, ce type de visualisation de données n’en reste pas moins très précis.
Certaines « visualisations de données » sont en outre interactives ce qui permet de surajouter des données, d’expliquer un phénomène ou d’étayer la représentation graphique par des chiffres très précis.
Niveau de lecture dans les discours sur l'Etat de l'Union pour the Guardian
Pourcentage de publications féminines dans les revues scientifiques
La visualisation de données devient ludique, et permet de vulgariser et de démocratiser l’accès à des données très compliquées.
Il existe des studios de création, spécialisés dans la visualisation de données pour de grandes entreprises, tel Stamen Design, Periscopic ou (plus frenchy !) Data Publica qui a récemment mis en ligne une carte interactive du trafic entrant annuel par station de métro. La plupart de ses données étaient déjà auparavant connues et communiquées en interne. Dans un souci de transparence ou de promotion auprès du grand public, des organismes privés ou publics font appel à ces studio pour réaliser des supports innovants et attractifs.
Carte intéractive du trafic entrant dans les statios de métros par Data Publica
Les relations internationales au travers des amitiés facebook, par Stamen Design
La visualisation de données est bien une tendance une tendance lourde du graphisme. Pour preuve, le nombre de sites, consacrés à cette discipline ne cesse de croître à l’instar de http://infosthetics.com/ ou http://flowingdata.com/ .
Certains sites dans une démarche « open source » partagent des tutoriaux pour reproduire ce type de visualisation de données : vous trouverez une jolie synthèse sur le très complet site du développeur et analyste Jim Vallindagham ou encore en français (le site semble néanmoins être à l’abandon) sur la boîte à outils de ExpoViz.
Si vous vous sentez le courage de vous mettre au javascript, à vos ordis !
Quand la visualisation de données confère à l’art
Si l’aspect purement artistique de ces visualisations de données avait pu vous échapper, il suffit de regarder les productions de Stamen pour s’en convaincre.
Ce studio mêle habilement dans ces projets art et business. Parmi les prestigieux clients de ce studio basé à San Francisco on peut compter Facebook, le Nasdaq, MTV…
Certaines de leurs créations ont, outre une esthétique graphique très pointue, un aspect ludique : elles mettent des données très techniques, jusque là inaccessibles, voir incompréhensibles, à la portée du grand public. Cette vidéo reprend ainsi les données boursières du Nasdaq, et met en évidence des comportements d’achat séquentiels sur ce marché boursier.
Famous Failures from Stamen on Vimeo.
Cette vidéo retrace à partir de la page facebook de Georges Takei (Susu dans Star Trek) la diffusion de ses photos. La visualisation de ces données prend une apparence organique ; selon Eric Rodenbeck (le fondateur de Stamen) pour l’Oeil de Links « la visualisation est organique parce que les données sont organiques ».
Sans titre 1-14 par Jorinde Voigt
Dans cette même interview, il apparaît dans les productions de Stamen que la donnée est la matière première, c’est ce médium qui guide la création artistique.
La démarche artistique de Stamen se situerait ainsi dans la lignée de la « recherche de la spécificité du médium » (ce que Clément Greenberg considérait comme la différence entre l’art moderne et l’art contemporain) : vidéos, créations intéractives, images fixes, la production plastique semble être directement déterminée par les données.
Stamen inscrit résolument son travail dans la contemporéanité… Loin de la polémique art moderne/art contemporain initié par Greenberg, certains artistes contemporains n’hésitent pas eux aussi à utiliser la donnée comme médium. Pour Jorinde Voigt, cette utilisation des données scientifiques lui permet de « décrire une civilisation ». Les diagrammes poétiques de cette artiste, qu’on a eu l’occasion de voir à l’exposition Turbulences, sous des traits rigoureux et numériques, décrivent une réalité sensible, tel un baiser, une musique ; le prisme scientifique semble ici répondre en écho au prisme sensible de l’artiste, une façon de décrypter l’humanité.
Conclusion
Vous regarderez différemment le beau diagramme que vous a préparé votre comptable…