C., la jeune stagiaire de lettres,
me raconte ses déboires avec sa 2°7 qui semble aussi pourrie que ma 2°4 dont
cinq élèves viennent d’être exclus trois jours pour insultes au collègue de
physique… C. avait expliqué deux fois et mis au tableau la définition de la
focalisation. Après une nouvelle question sur ce point, elle répond mais
s’énerve et menace : « le prochain qui me demande ce que veut dire
focalisation, je le vire ! » Cela n’a pas manqué « Madame, c’est
quoi la focalisation ? » Donc, viré. Le gamin rentre chez lui et dit
à sa mère : « j’ai été viré parce que je posais une question. »
Fureur de la mère ; scandalisée, elle demande rendez-vous au proviseur,
etc…
On savait que mettre des stagiaires sans préparation devant des classes avec un
emploi du temps complet de prof, c’était du hachis, gâchis. On y est, et c’est
pénible, voire suicidaire.
***
Je n’aime pas ces moments de lumière anémiée, aube poussive ou crépuscule
grisâtre. Je préfère le net, la découpe, le tranchant. Voilà peut-être la
raison pour laquelle j’ai du mal avec l’automne : il est spongieux,
humide. On entre dans un monde mou de journées sans fin pâles, peu propices,
sans élan. Il y a eu deux trois jours de feuillages éclatants au Mail ;
puis deux trois jours de tempête et de pluie, et il ne reste déjà plus rien que
des ramures d’hiver.
***
J’ai eu tort de ne pas me mettre au reste de
copies cet après-midi. Je n’en ai rien tiré et je conserve le boulot
devant alors qu’il y a demain Carrefour avec Gabriel. Mais bon, j’en avais assez.
Reverdy : « J’ai tellement besoin de temps pour ne rien faire qu’il
ne m’en reste plus pour travailler. » Besoin effectivement de cette
paresse active, en attente. Aucun poème n’est venu, soit, cela ne veut pas dire
qu’aucun poème n’aurait pu venir.
***
Entretien intéressant de Houellebecq avec Laure Adler, à la radio. Sa façon de
prendre le contrepied de la question, de ne pas se laisser attirer par la
séduction de son interlocutrice, sa manière d’assumer son trajet… Convaincant.
Pas au point de me donner envie de lire Carte
et territoire, je lis rarement les « prix ». Mais à la radio, le
bonhomme a une présence très différente de celle des « savants ». Et
je me sens assez proche de ça, même si je n’ai pas sa capacité pour se mettre
en scène, retourner la question à l’envoyeur, botter en touche en demandant un
clope…
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Chausses. Toujours compliqué
d’adapter la longueur. Mon texte faisait 3500 signes espaces compris, donc un
peu court mais naturel. Pour monter à 4000, faut que je force un peu, développe
une idée que j’aurais préféré laisser comme une simple indication. Mieux vaut
reprendre cela demain, avec un œil lavé par la nuit.
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Ramené Gab à Brissac. Fatigue et tension nerveuse, pas avec Gab, en moi.
Pourtant le boulot est fait, la semaine est prévue, tout est en place.
« Tristesse étrange » qui vient peut-être de ce ciel de soufre qui
peine à s’éteindre.
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Écrire vieillir : j’aimerais. Je l’ai déjà fait un peu, du dehors, avec
les parents et Tata. J’aimerais le faire du dedans, avec mon corps comme cobaye
ou lieu d’expérience. Non pas auto-fiction ou autre enfermement sur soi, mais
partir de moi pour travailler ce phénomène : vieillir.
épisodes 1, 2,
3,
4,
5,
6,
7,
8,
9,
10,
11,
12,
13,
14,
15,
16,
17, 18, 19
©Antoine_Emaz
Ainsi s’achève Planche, ensemble de
notes qu’Antoine Emaz a bien voulu confier à Poezibao pour une publication en feuilleton.
Un nouveau feuilleton commencera le lundi 4 mars : Gradubidus de Françoise Biger.