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Egea est heureux de publier ce texte d'un brillant étudiant de l'IEP d'Aix et qui se spécialise sur ces questions de Sociétés militaires privées et ESSD. Qu'en est-il de leur renouveau en Afrique ? surtout à l'aune du Mali ? éléments de réponse.
O. Kempf,
LA PRIVATISATION DE LA SÉCURITÉ EN AFRIQUE
Le 12 juin dernier, l’ « Institute for economics and peace » publiait le « Global peace index report », classement de 158 nations selon leur niveau de paix intérieur. A la fin de cette liste se trouvent les noms des dix pays les moins stables du globe ; parmi ceux-ci, le continent africain est le mieux représenté : Somalie, Soudan, République démocratique du Congo et République Centrafricaine.
Cet état de fait n’est pas nouveau. Depuis les vagues de décolonisation de la seconde partie du XXe siècle, l’Afrique n’a pas été épargnée par les conflits de haute et basse intensité. Principale raison à cette absence chronique de stabilité : la faible autorité de l’Etat sur le territoire national. Cette faiblesse facilite l’émergence de deux acteurs non-institutionnels durant les dernières décennies : les organisations non gouvernementales et les sociétés militaires privées.
A l’image de l’action des ONG dans divers secteurs sociaux tendant à pallier les insuffisances des institutions étatiques, la présence des SMP répond à une incapacité de certains Etats africains à assurer leur fonction régalienne de sécurité. Cette explication paraît simpliste pour certains auteurs tels que Marc-Antoine Pérouse de Montclos qui analyse, dans son ouvrage « Etats faibles et sécurité privée en Afrique noire », l’implication grandissante des SMP dans la sécurité africaine comme une évolution naturelle vers la fin d’un monopole étatique de la violence.
Quelles qu’en soient les raisons, les SMP ont trouvé en Afrique une multitude de clients désireux de s’attacher leurs services : ONG, organisations internationales, entreprises privées ou encore des Etats « en faillite » menacés par des organisations rebelles au pouvoir en place.
En effet, les succès étonnants remportés par Executives Outcomes en Angola et en Sierra Leone dans les années 90 ont semblé rassurer les acteurs africains (alors même que les forces onusiennes piétinaient). Fortes de cette expérience, les SMP y ont gagné une image de professionnalisme et d’efficacité qui leur faisait défaut jusque-là. Assez vite l’ONU, plusieurs O.I africaines et certains Etats acceptent l’idée d’une « sous-traitance » de certaines missions annexes aux opérations de maintien de la paix et de l’ordre tels le déminage de zones de guerre, en Ethiopie (par Dyncorps) et en Angola (par DSL Armor Group) ou encore la logistique du contingent ouest-africain déployé en 2003 à Monrovia, la capitale du Libéria (contrat obtenu par Pacific Architects and Engineer). En 2010, les SMP connaissent un développement exponentiel. C’est à cette date que plusieurs contrats sont passés en Afrique avec la société MPRI, en premier lieu dans le cadre du « Maritime Security Enhancement Program » afin de participer à la constitution d’une force de protection côtière en Guinée Equatoriale, puis dans l’ « Africa Contingency Training Assistance » (assistance aux armées de pays africains par le département d’Etat américain).
C’est ainsi qu’après l’échec cuisant des forces onusiennes en Ituri (RDC) en 2003, le très charismatique Kofi Anan semble envisager un moment de confier une OMP à « un consortium de SMP » rassemblant Airscan, ICI et Task, avant de finalement renoncer à ce projet en butte aux critiques des médias occidentaux. Pourtant, loin de démoraliser les « contractors », ceux-ci proposent leurs services pour s’impliquer dans la résolution des conflits régionaux au Soudan ou au Tchad…
Si leur action est grandissante dans les parties annexes (déminage, formation, logistique), les opérations de maintien de l’ordre semblent encore devoir leur échapper.
C’est à ce titre que Damian Lilly, responsable de l’ONG londonienne International Alert, se trompait en prophétisant la mort-née de la privatisation des OMP, les refus successifs ayant simplement contribués à pousser les SMP à accroître leur offre de service pour arriver à proposer un « menu » complet en matière de maintien de la paix comprenant la prévention, la répression et la reconstruction. Témoignage de cette pluralité d’offre : le développement du soutien médical comme créneau d’activités des compagnies militaires privées en Afrique. La SMP « Medical Support Solutions », par exemple, fait intervenir ses médecins de « combat » dans plusieurs pays africains dont le Liberia, le Soudan ou le Darfour.
Dernier client des SMP, particulièrement sur la région africaine : les ONG. Si ceux-ci se refusent souvent à reconnaître leur relation avec les « chiens de guerre », il n’en demeure pas moins que celles-ci existent bien.
Dans l’ouvrage de P. Chapleau « Sociétés Militaires Privées : enquête sur les soldats sans armées », un transfuge de l’ONG Oxfam énumère les différents contrats : le CICR qui emploie des contractors d’ArmorGroup à Kinshasa, l’Unicef en Somalie, la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge qui ont fait appel à Executives Outcomes en Ouganda, peu de temps avant sa dissolution, ou encore le PAM (Programme Alimentaire Mondial) qui n’hésite plus à placer ses convois sous protection de gardes privés (notamment ceux en direction de la corne de l’Afrique).
A l’exception d’Executives Outcomes et de la SMP Sierra Leonaise « Southern Cross Security », le marché de la sécurité en Afrique est occupé à l’immense majorité par des sociétés anglo-saxonnes, à l’image de G4S (société se présentant comme le leader mondial du marché de la sécurité), Dyncorps ou ArmorGroup.
Le Mali fait partie de ces pays qui ne peuvent plus assumer seuls leur devoir régalien de sécurité envers leurs citoyens, englué dans une guerre civile que l’Etat ne parvient pas à réguler, bien au contraire, puisque l’armée française intervient victorieusement depuis quelques semaines en soutien au gouvernement de Bamako à travers l’opération « Serval ».
Le Mali, futur Eldorado pour les sociétés militaires privées ? C’est une possibilité à explorer. En mars 2012, la société française « Erys Group » ouvrait un bureau à Bamako dans le but de « sécuriser les expatriés et les biens » des entreprises clientes (en particulier les françaises).
La reconstruction de l’ensemble des forces de sécurité maliennes, armée de terre et de l’air, gendarmerie et police nationale est un chantier suffisamment important pour qu’il finisse par échapper à la mission de formation de l’Union Européenne au Mali et tomber dans l’escarcelle des contractors.
P. Madonna