« Les vies heureuses sont économes de mots, dit-on… » (Roba)
Devezh mat, Metz, mont a ra ? La bande dessinée Boule et Bill est à l’honneur actuellement avec la sortie récente du dernier album de la série et la sortie prochaine du film d’Alexandre Charlot et Franck Magnier. Quelques mots sur cette B.D. qui a bercé l’enfance de tant de lecteurs…
Boule et Bill ont fait leurs premiers pas dans Spirou en 1959 en tant que héros d’un « mini-récit », un de ces mini-livres que les lecteurs pouvaient monter eux-mêmes en détachant et en pliant en huit les pages centrales du journal ; l’histoire, intitulée Boule contre les mini-requins comptait 48 pages et mettait le petit garçon et son « coquin de cocker » aux prises avec un demi-savant fou qui testait dans le bassin du parc les modèles réduits de bateaux censés lui assurer la maîtrise des mers… Le talent de Roba se manifeste tout entier dans ce récit qu’on hésite cependant à qualifier de fondateur tant il semble décalé par rapport à l’ensemble de la série, ce qui explique peut-être que l’on hésite encore aujourd’hui à l’inclure dans la collection « officielle » des albums de Boule et Bill.
On n’a pas manqué de signaler que l’univers de Boule et Bill était quelque peu idéalisé, ce dont Roba ne se défendait même pas : « Je sais bien que leur monde n’est pas vrai. Il n’y a pas de drames dans la maison, à part une rougeole de temps en temps… » Mais la grande force de Roba est que son monde, bien qu’optimisé, n’est jamais mièvre : Boule se bat avec les autres garçonnets, souvent avec l’aide de Bill qui n’est pas le dernier pour piquer des colères noires et faire bêtise sur bêtise… Bref, les planches de Roba sont pleines de mouvement, de vie, on adhère sans problème à ce petit monde qui ressemble au nôtre à cette différence près qu’il est trop beau pour être vrai.
Roba s’est toujours défendu de toute prétention intellectuelle et de toute volonté de délivrer un message ; il n’empêche qu’ici ou là, dans ses gags de Boule et Bill, transparaissaient des marques de ses réflexions et de ses préoccupations : ainsi, voyant son père, avec l’agent de quartier et le laitier, faire sur le trottoir les glissades qu’il lui avait interdites, Boule finit par dire à son chien : « Vivement qu’on soit grands pour pouvoir faire l’enfant, Bill ! » Ce gag résume admirablement le fossé qui sépare le monde des adultes de celui des enfants, Roba prenant ouvertement parti pour ce dernier : « Mon public, ce sont les enfants. Les adultes ne m’amusent pas. Je ne suis pas un fou des adultes. Je les trouve triste, sauf ceux qui ont encore un pied dans l’enfance, les distraits et les maladroits. » Cela n’a pas empêché le dessinateur de tenter quelques incursions dans la bande dessinée dite « adulte » à la fin des années 1970, notamment en participant au Trombone illustré, mais ces quelques tentatives furent avortées, comme si l’enfance finissait toujours par rappeler inexorablement vers elle Roba qui finira par admettre que les possibilités ouvertes par le développement de la B.D. adultes ne l’intéressaient pas vraiment, même s’il en profitait : « Une chose que je me suis permise dernièrement : j’ai dessiné Boule tout nu et on voit son petit zizi. C’était impensable jadis. Mais ça n’enlevait rien. Est-ce que cela rajoute au sourire que peuvent apporter Boule et Bill ? Je n’en suis pas sûr. » Il y a indéniablement une part de nostalgie dans Boule et Bill, mais nullement de passéisme : Roba tentait compte de l’évolution de la société (dans son avant-dernier album, il montre Boule « scotché » à son jeu vidéo) et savait relativiser les choses : « Cela dit, le passé, c’est joli, mais je n’ai qu’à penser une minute au dentiste et je préfère maintenant. »
Le père de Boule correspond assez bien à la description que Roba donnait de l’adulte qui a « encore un pied dans l’enfance » ; s’il peut lui arriver d’être injuste et donneur de leçons, il n’en est pas moins un porte-parole privilégié de la sensibilité écologiste du dessinateur (il panique en découvrant que des espèces animales disparaissent) et de son dégoût pour la publicité, du moins pour ce qu’elle est devenue : « J’ai fait aussi de « la réclame », des affiches, des annonces presse, mais la publicité n’était pas cet énorme truc qu’elle est devenue. Je regrette l’époque les grands affichistes dessinateurs. » Le père de Boule exercera donc lui aussi le métier de publicitaire et finira par s’exclamer, devant l’invasion de la vie quotidienne par la « pub » : « Je sais bien qu’il ne faut pas cracher dans sa soupe, mais ça fait quand même mal de se dire qu’on y est pour quelque chose ! », des propos que Roba ne renieraient pas comme étant les siens… Mais ce qui rend le père de Boule vraiment attachant à mes yeux, c’est son refus obstiné de laisser le dernier mot à ceux qui le font enrager : un fier à bras se moque des dimensions de son avion en papier et essaie de lui en mettre plein la vue avec un planeur dix fois plus grand ? Réponse cinglante : il fabrique avec du papier journal un avion grand comme le biplan des frère Wright ! Une mémère fait sa petite m’as-tu-vu-comme-je-suis-gentille-avec-ma-chienne au point de faire pleurer Bill ? Réponse cinglante : il convoque une quinzaine de restaurateurs pour offrir au cocker tous les mets qu’il désire !
À côté de ce grand enfant de père, la mère de Boule incarne la voix de la raison, de l’autorité, avec une main de fer dans un gant de velours ; elle n’a pas son pareil pour désarmer son fils jouant au cow-boy et le forcer à aller se coucher. Roba l’expliquait bien : « On m’a accusé de sexisme parce qu’on ne voit pas beaucoup la mère de Boule ou alors souvent dans des tâches ménagères. Ce n’est pas vrai. C’est elle qui tient tout dans la maison. » D’une certaine manière, ce personnage assez discret assure sa stabilité à un monde qui pourrait s’effondrer sous les coups des bêtises de Boule et Bill et où les autorités sont plus régulièrement malmenées qu’on ne pourrait le croire (le père tient tête à l’armée et fait tourner en bourrique l’agent de quartier, par exemple) ; en fait, les personnages dessinés par Roba étaient souvent de telles caricatures que le dessinateur a préféré ne pas trop y mêler les femmes, par respect pour elles : « C’est très difficile de caricaturer une femme. (…) Ou alors, il faut que ce soit une affreuse mégère. » Le seul personnage féminin ouvertement comique de la série est précisément une affreuse mégère, l’acariâtre voisine des parents de Boule, veuve de militaire élevant un affreux chat siamois, archétype de la femme conne, bête, méchante et médiocre qu’on adore détester : nous avons tous eu une prof qui ressemblait à ça !
Boule ressemble à tous les petits garçons de son âge ; en revanche, je plaindrais le gamin qui ressemblerait à son copain Pouf ! Avec son gros pif et ses cheveux en bataille, que Boule finira par décrire comme « un gros melon de cavaillon au milieu d’une broussaille », Pouf n’a pas été gâté par son dessinateur ! Et s’il n’y avait que son physique : froussard, râleur invétéré, totalement dépourvu d’imagination, traitant toujours Bill comme un inférieur voire comme un intrus… Rien d’étonnant à ce que Boule préfère rester avec son chien, dont le caractère extrêmement marqué, frondeur, parfois difficile, est une source de gags pratiquement infinie : « Il regarde la vie, il juge. Dans cet univers convenable, c’est lui qui se permet le plus de choses. » dira Roba ; il est notamment aidé par ses oreilles avec lesquelles il fait pratiquement n’importe quoi, y compris l’hélicoptère, ce qui vaudra à un épisode de la série d’être censuré en France sous prétexte d’incitation à la maltraitance animale ! Est-ce ce genre de réaction imbécile qui a inspiré à Roba le commentaire qui suit ? « Les Belges ne sont peut-être pas aussi vifs que les Français, mais ils ont plus ouverts à l’humour du Nord, à l’humour anglo-saxon. »
Comme beaucoup d’autres dessinateurs, Roba reconnait Franquin comme son maître à dessiner : « Il râlait quand je disais ça, mais j’ai tellement appris de choses avec lui… » Il y a cependant assez peu d’allusions directes à l’œuvre de Franquin dans Boule et Bill, si l’on excepte quelques gags, comme celui où Boule reproduit malgré lui le gag de Gaston où un coup de sifflet à ultra-sons fait venir des dizaines de chiens, ou encore celui où Bill se fait disputer son os par une bande de mouettes parmi lesquelles on peut reconnaître « la » mouette rieuse du géant de la gaffe… Mais c’est à un autre collègue illustre, à savoir Morris, que Roba rendra l’hommage le plus appuyé en donnant à l’instituteur de Boule les traits du créateur de Lucky Luke ; un rôle un peu à contre-emploi pour ce dessinateur qui n’était guère plus studieux que Roba et qui se faisait régulièrement punir pour les caricatures qu’il faisait de ses professeurs (il les réutilisera pour camper les croque-morts qui apparaissent dans Lucky Luke…), mais sans doute n’y avait-il rien de réfléchi dans cette démarche, Roba s’intéressant peu à l’univers scolaire (« Boule va peu à l’école. Peut-être, parce que j’en ai un mauvais souvenir, l’école m’inspire très peu. ») : peut-être Roba avait-il seulement été inspiré par le look très « sérieux » et très « old school » de Morris qui n’a jamais rénié son goût pour les nœuds papillons.
Bon, assez causé, je retourne dans ma niche ! Kenavo, les aminches !
P.S. : Toutes les citations de Jean Roba, exceptés les extraits des gags de Boule et Bill, sont tirées de l’album hors-série Boule et Bill en famille publié en 1997 chez Dargaud.
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