Kijû Yoshida, 1974-1978 (Japon)
UN PANORAMA RAPIDE DE L’ART MONDIAL
Ce n’est pas une démonstration comme celles d’Alain Jaubert dans Palettes (45 épisodes réalisés pour Arte entre 1988 et 1999). Yoshida n’est pas non plus dans l’analyse dé-contextualisée, vive et précise d’Hector Obalk (les 7 épisodes de la série Grand’Art, toujours pour Arte, 2008-2010). A travers 94 chapitres réalisés également pour la télévision (japonaise), Kijû Yoshida cherche, lui, justement à restituer par le discours le contexte historique et géographique des œuvres, à découvrir leurs auteurs dans leur époque. Pas de considérations esthétiques donc, ni d’observations très techniques*.
Parmi les 20 épisodes que Carlotta a édités (sous format dvd le 6 février 2013), huit maîtres de la peinture occidentale sont étudiés du Moyen Âge au XIXe siècle : Bosh, Bruegel, Caravage, Goya, Delacroix, Manet, Cézanne et Van Gogh. Yoshida consacre ainsi entre deux et quatre épisodes à chaque peintre (un peu plus de vingt minutes par épisode, soit une durée comparable aux séries documentaires ci-dessus évoquées).
Yoshida commence toujours de la même façon, par quelques travellings qui présentent en extérieur la ville où il se trouve. Ensuite, dans les musées, le cinéaste accorde toute son attention aux tableaux, limitant ainsi sa réalisation à des plans fixes face aux toiles, des glissements de caméra et des zooms. Cette sobriété est d’autant plus remarquable que, dans ses propres fictions, Yoshida est connu pour construire des plans plus sophistiqués (Eros + Massacre, 1968…). Le Japonais ménage des pauses assez longues dans son propos. La bande son n’est jamais envahissante et privilégie les ambiances : la musique de Toshi Ichiyanagi est lente et mystérieuse, les rares bruitages participent au décor (brouhaha d’une foule, croassements lointains…). Nous sommes dans ces musées comme dans une église, face aux peintures comme devant l’autel.
Le questionnement sur le rapport entre l’expression artistique et la vie du peintre sert de fil conducteur à sa série documentaire. Cependant, Yoshida force ce rapport, tirant de ses observations des conclusions qui manquent parfois de pertinence. De plus, si l’on s’en tient aux épisodes consacrés à Jérôme Bosch, le discours du réalisateur est aujourd’hui daté : le Moyen Âge est obscur et le peintre un hérétique (pour soutenir cette idée il s’appuie sur l’ouvrage de Wilhelm Fraenger, Le Royaume Millénaire de Jérôme Bosch, paru pour la première fois en 1947 et critiqué depuis, notamment par van Lennep qui proposa en 1986 un état de la question). D’autres fois encore les affirmations étonnent : l’absence de documents relatifs à Bosch témoigne-t-elle nécessairement des troubles du XVe siècle ? Dit autrement : n’y avait-il que le Moyen Âge pour les perdre ? Non, bien sûr, on sait par exemple que six tableaux de Bosch se référant à l’Ancien Testament furent détruits lors du sac de Hertogenbosch (Bois-le-Duc, sa ville natale) en 1629.
Toutefois, plus on s’éloigne du Moyen Âge, plus les informations concernant les artistes abondent et donc moins les bizarreries ou les approximations ne gênent le discours. Probablement, un connaisseur pourrait davantage apprendre de Yoshida en voyant Beauté de la beauté, comprendre un peu plus le cinéaste et ses films de fiction, et donc mieux réussir ce que le Japonais lui-même a tenté au cours de ses 94 petits films, cherchant à reconstruire une histoire à partir des œuvres scrutées.
* Le réalisateur s’explique : « Tout le temps que j’ai consacré à Beauté de la beauté, j’ai tâché de garder le silence. Devant moi et la caméra, les œuvres d’art déjà se tenaient là. Aussi n’était-ce pas moi qui les regardait, mais elles qui m’observaient. C’est pourquoi, écartant autant que possible toute information les concernant, je me suis efforcé d’enregistrer ce regard qu’elles tournaient ainsi vers moi. Je me suis également interdit d’utiliser les adjectifs « beau » ou « belle ». Car ce qui est « beau » ne l’est que dans la mesure où le spectateur de Beauté de la beauté le ressent comme tel : seule son imagination pourrait y trouver quelque « beauté » que ce soit. »
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