Accessible à plusieurs niveaux, l’exposition peut être appréhendée par les amateurs de contes, les enfants, les amoureux des textes, les historiens, et même ceux qui n’ont pas beaucoup l’habitude des expositions. Les dispositifs interactifs mis en place permettent de diversifier la scénographie, et d’aborder autrement les spectateurs. Les modes d’accès à l’information sont divers et cela permet de moduler son attention.
Le parcours du texte
Le texte des « Milles et une nuits » a subi une véritable aventure, au gré des époques, des auteurs et des sociétés, il a connu des ajouts et des suppressions, des nuances et des détails. La première salle de l’exposition scénarise historiquement et géographiquement le processus d’élaboration du livre, du 9ème siècle à de nos jours. Les premiers contes étaient destinés à des rois, les manuscrits perdus, il n’est resté que des écrits qui datent du 15ème au 19ème siècle. Le recueil s’est construit sur une base indo-persanne et il a été enrichit de récits autres, provenant d’Egypte ou de Bagdad. A l’époque le livre persan relevait d’un genre appelé le « miroir des princes », c’est-à-dire à portée morale ou épique et écrits de manière à convenir à l’aristocratie.
Nous devons la première version française à Antoine Galland, qui l’édite entre 1704 et 1715. Son accueil est incroyable et son succès alimente toute l’influence orientale dans les lettres et les arts. Antoine Galland a modifié lui aussi le récit, en y adjoignant des contes folkloriques (dont Ali Baba et Aladin) et en supprimant les passages pouvant poser problème.
Le livre connu aussi beaucoup de copies, d’impostures, mais finalement en 1814 à Calcutta, il arrive à une forme réduite (200 nuits) travaillée directement de l’arabe. La première édition dans un pays arabe est faite en 1835 au Caire, mais elle fait un scandale, jugée trop immorale et anti-islamique. La traduction en France date de 1805, elle est dédiée à Mallarmé et elle établie par Joseph Charles Madrus. Puis entre 2005 et 2007, le professeur André Miquel et l’écrivain algérien Jamal Eddine Bencheikh mettent au point une version qui est aujourd’hui la référence. Il apparait alors que les contes tiennent parfois des propos sensuels qui ont pu suivant les années, les cultures ou les pays, paraitre clairement immoraux.
Le statut du texte et la conteuse
Il n’en demeure pas moins que le texte a un statut particulier. Somme de contes autrement dit des histoires héritées de tradition orale, qui sont rapportés eux-mêmes par une conteuse. Certains voient alors en Shahrâzâd, une figure idéale du conteur.
Son histoire nous la connaissons dans les grandes lignes, mais il est bon de la rappeler pour en mesurer tous les aspects.
Le pouvoir de l’évocation, du discours, des contes et du merveilleux
Mêlant tous les univers : amour, guerre, animaux, chansons de cour, Shahrâzâd use d’une haute maîtrise aussi des genres, de la langue, et des styles. Elle développe ainsi un texte étonnant, qui surprend par ses retournements, ses dédales et ses méandres, elle a recours à la mise en abyme, aux répétitions, aux digressions en apparentant son récit à tantôt à une chronique historique, tantôt à une féérie, tantôt à un récit d’horreur ou une satire.
Par le pouvoir de l’évocation, de l’imagination et du merveilleux Shahrâzâd parvient à s’affranchir du sort qui l’attend, en transportant au loin Shâhriyâr.
Les propos parfois nouvellement sensuels inspirent des auteurs occidentaux, comme par exemple Diderot pour ses Bijoux Indiscrets. Mais la coloration des contes n’est pas uniforme. Elle dégage au contraire de multiples évocations : en lisant ou en écoutant les contes, on s’immerge dans un univers chatoyant et précis, où la cartographie minutieuse a pour effet de nous perdre dans les sinuosités de la fiction. En effet, les villes du Croissant Fertile sont citées (Bagdad, Damas, Le Caire, Jérusalem, la Mecque, mais aussi l’Andalousie, le Yémen, ou le Japon. Les villes et leurs palais somptueux, sont aussi prétextes à multiplier dans l’esprit du lecteur, la topographie. On se figure les terrasses, les salles, les chambres et tous les lieux secrets (passages, cour, lieux de repos), jusqu’à ce qu’on ne puisse plus forcément relier tous ces endroits. De la même manière, dans Sindbad le marin, la mer semble connaitre des circonvolutions imaginaires et par là-même être infinie.
Dans ces mondes infinis, insoupçonnés et peu encore explorés, fait irruption le merveilleux. Entre Le Caire et Bassora, et plus on s’éloigne du Croissant fertile, et plus les noms des villes deviennent étranges. La bizarrerie s’introduit dans le récit, entrainant avec elle, une ribambelle de créatures comme des démons, des géants, ou des animaux mystérieux. Dans ces mondes intermédiaires, il est facile de laisser vagabonder son imagination et de se laisser aller à la magie des contes.
Accompagnés en douceur et en évocations par la scénographie (salle des contes, grotte…) nous sortons dépaysés de cette exposition, avec une folle envie d’en découvrir les contes, que parachève la vue du toit de l’Institut du Monde Arabe (si vous en avez l’occasion).
Les Mille et une nuits,
à l’ Institut du monde arabe
1 rue des Fossés Saint-Bernard
75005 Paris