Max Emanuel Cencic - © Julian Laidig / Parnassus ARTS Productions - 2013
L'affiche est prestigieuse : le contre-ténor Max Emanuel Cencic (dont l'Alessandro de Händel signé Decca vient tout juste de recevoir un accueil élogieux) se produit tout au long de 2013 dans une tournée européenne, qui le mènera jusqu'à Budapest, en passant par Munich, Montpellier, Dortmund, etc. Étape obligée au Théâtre des Champs Élysées ce 15 février, dans le cadre des Grandes Voix. Comme il est de mise depuis des années pour ce qui concerne les récitals de chant, le projet est adossé à une sortie discographique (Virgin Classics), en l'occurrence un parcours consacré à Venise, cette "Sérénissime"... qui, décidément, veille de manière tutélaire sur nos colonnes (1) !Ce disque peut être acheté ICI
Or, l'aubade de ce soir est légèrement plus chiche en auteurs nouveaux, le Prêtre Roux et même Händel (Alessandro oblige, sans doute) revendiquant une part plus consistante. Autre différence de taille (demeurée pour nous inexpliquée), des studios à l'Avenue Montaigne... l'ensemble instrumental et le chef n'entretiennent aucun rapport ! En effet, si le très virtuose Riccardo Minasi (entre autres premier violon du Concert des Nations, fondateur de Musica Antiqua Roma) est aux commandes d'Il Pomo d'Oro devant les micros, c'est la fameuse Europa Galante du non moins illustre Fabio Biondi (photos plus bas) qui monte sur la scène - au moins à Paris (2).
Europa Galante, Zankel Hall de New York, 2010 - © Rachel Papo, pour The New York Times
Ces curieux points de forme (ou de méforme...) étant posés, qu'en est-il du fond ? Voici quelque temps, Max Emanuel Cencic nous avait transporté, lorsqu'il avait - après tant d'années - décidé d'aborder enfin Händel, après Rossini même : que ce soit au long du recueil concocté avec Diego Fasolis, ou du concert associé à la Salle Gaveau. L'un des aspects les plus évidents de ses dons, à cet égard, était son net mordant en bas de la tessiture, dont chacun sait bien qu'il n'est pas toujours l'atout maître des falsettistes ; ceci ajouté, bien entendu, à sa vélocité étourdissante et à son coloris envoûtant.Étonnamment, ces points forts sont cette fois moins flagrants. Si Alessandro Scarlatti, au début, fait certes valoir une agilité confondante en dépit d'un aigu maladroit (Cambise), son Tigrane, à la planante mélopée "Care pupille", sait déployer un canto spianato toujours aussi mellifère... mais entaché d'une surprenante monotonie. Un détachement heureusement infirmé par le "Dolce mio ben" du Flavio de Gasparini, de coupe comparable, une de ces pâmoisons ténues et touchantes... où se remarque, tout de même, une absence de lustre de brillant, à laquelle notre héros ne nous a guère accoutumé. À mesure que les festivités progressent, d'autres travers inédits surgissent ; par exemple, la vocalisation devient sèche, mécanique, peu expressive dans le "Vano Amore" (Alessandro, Händel).
Europa Galante - © www.europagalante.com/gallery.php, Ana de Labra
Ces hésitations sont-elles à l'origine du changement programmatique évoqué ci-dessus ? Quoi qu'il en soit, nous demeurons tout autant bluffés qu'impavides à l'écoute de deux Vivaldi, dont le "migrant" déjà cité ("Mi vuoi tradir" de La Verità in cimento et "A' piedi") : aussi brillants, qu'inégaux et impersonnels. À ceux-ci s'ajoutent plus loin un troisième, transcendant d'ailleurs, "Anche in mezzo aperigliosa" (L'odio vinto dalla costanza), puis un autre - enfin, nous voici dans ces "appels héroïques" vantés par la brochure ! En revanche, le "Sposa, non mi conosci" de Giacomelli (Merope), l'un des plus bouleversants lamenti baroques en passe de devenir une véritable scie (3), n'a plus guère à offrir au contre-ténor qu'une éphémère beauté de graves. La déploration est inhibée, dirons-nous subie ; la supplique, scandée sans grande logique des mots avec des sforzandi incongrus, devient maniérée, voire chichiteuse dans l'aigu ; avant de s'échouer en queue de poisson.L'intérieur du Théâtre des Champs-Élysées - © Jacques Duffourg 2012
À l'exception, peut-être, de la belle Suite (à la française) du Rodrigo de Händel, et malgré une lecture toujours très probe et scrupuleuse, nulle page ne semble devoir échapper à l'ennui le plus immanent, en présence du chanteur, ou sans lui. Dans cet ordre d'idées, le Concerto pour viole d'amour et luth (Vivaldi, encore, toujours, éternellement), figé dans la grisaille et le surplace, représente une sorte de parangon. Rien ne saurait donc donner à ces intrumentistes irréprochables l'envie d'en découdre ? Si ! Une pièce, mise par chance au nombre des ajouts de dernière minute : ce "Mormorando" de Giovanni Porta (Costanza combattuta in amore), exhalaison incomparable, tout entière à l'image de son titre, si euphonique.Pendant ces minutes sans prix, en sus des quelques autres déjà mentionnées, pour Europa comme pour Cencic, il n'est plus d'affèterie, de points de passage délicats, de compromis avec une technique rétive - ni surtout d'uniformité ou de mollesse. Un apex qui dit assez que la photographie d'un soir était trop sépia pour être fidèle, et que les kaléiodoscopes reviendront.
(2) La brochure du projet global Veneziaspécifie pourtant expressément "Max Emanuel Cencic est accompagné par l’ensemble Il Pomo d’Oro sous la direction de Riccardo Minasi, au studio comme en tournée" !
(3) La mélodie en est bel et bien de Geminiano Giacomelli (1692-1740), lequel n'eut d'ailleurs rien de vénitien. Cependant, Vivaldi la reprit pour son pasticcio Bajazet, en changeant le sexe du personnage et donc les paroles (Sposa, son disprezzata). Dans l'une ou l'autre version, des Bartoli (DVD Sacrificium) ou des DiDonato (CD Drama Queens) l'ont récemment enregistrée, et de quelle suffocante manière !
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▸ Jacques Duffourg
‣ Paris, Théâtre des Champs Élysées, 15/02/2013 : Max Emanuel Cencic & Europa Galante.
Un concert en relation avec le CD Venezia publié chez Virgin Classics (lire ci-dessus).
‣ Œuvres instrumentales de : Antonio Brioschi, Antonio Vivaldi, Georg Friedrich Händel.
‣ Œuvres vocales de : Alessandro Scarlatti, Antonio Vivaldi, Francesco Gasparini, Georg Friedrich Händel,