Outre la longue session consacrée au "mariage pour tous" qui a donné lieu à des manifestations mémorielles particulièrement marquantes, l'Assemblée nationale a également travaillé sur d'autres thématiques mémorielles tout aussi passionnantes.. et souvent surprenantes !
Enseigner le "devoir de mémoire" avec les archives militaires et archives départementales
La question posée par M. François Cornut-Gentille, député UMP de Haute-Marne, est pour le moins surprenante. Ce dernier interroge le ministre de l'Education nationale sur le "devoir de mémoire" en ces termes :
"L'importance du souvenir des sacrifices consentis par des générations anciennes pour défendre le territoire et les valeurs de la France est une priorité qui transcende les clivages politiques. Plusieurs organismes et administrations contribuent à animer ce devoir de mémoire, parmi lesquels l'éducation nationale, le service historique de la défense ou les différentes archives départementales. Les archives conservées par le SHD ou les conseils généraux constituent un socle pédagogique extrêmement riche. En conséquence, il lui demande de préciser les actions entreprises par son ministère pour encourager les enseignants d'histoire à exploiter les archives militaires et/ou départementales avec leurs élèves, dans le cadre du devoir de mémoire".
D'abord, on s'étonne qu'un député qui s'interroge sur ces questions utilise aussi légèrement l'expression de "devoir de mémoire" alors que cette dernière a fait l'objet de multiples mises au point historiographiques depuis plusieurs années. S'il n'est désormais plus vraiment question de condamner cette injonction au souvenir qui constitue une manifestation mémorielle récurrente, il est cependant admis depuis quelques années que l'expression doit être utilisée avec prudence et parcimonie. Il n'est d'ailleurs pas anodin de constater que la réponse des services du ministère utilise l'expression de "travail de mémoire" plutôt que celle utilisée dans la question.
Dans la formulation de sa question, M. François Cornut-Gentille semble considérer que les enseignants d'histoire seraient les animateurs naturels du "devoir de mémoire". Bien que les actions dans ce domaine soient de plus en plus nombreuses, il convient de rappeler au député que cette mission n'est pas celle des professeurs d'histoire qui, comme leur dénomination l'indique, doivent d'abord enseigner une science fondée sur l'analyse critique et non pas diffuser un regard émotionnel sur le passé.
Ce qui est encore plus surprenant, c'est que M. Cornut-Gentille en appelle aux services des archives pour entretenir ce "devoir de mémoire" alors que ces documents sont par définition à la source de la science historique.
Sur ce point, la réponse du ministère de l'Education nationale se contente d'énumérer les innombrables concours proposés aux élèves au cours de leur scolarité sans vraiment se prononcer sur la question de l'encouragement des enseignants d'histoire à exploiter les archives militaires et/ou départementales avec leurs élèves. On aurait pourtant pu signaler l'existence de nombreux enseignants détachés pour plusieurs heures dans les centres d'archives afin d'animer des services éducatifs.
D'ailleurs, une simple recherche sur l'Internet permet de vérifier que les archives départementales de la Haute-Marne (département d'élection de M. Cornut-Gentille) est pourvu d'un tel service qui explique avoir "pour mission d’introduire les archives dans le milieu scolaire, d’en favoriser la connaissance et l’utilisation"...Internet, c'est parfois plus rapide et efficace qu'une question à l'Assemblée nationale !
A noter également que la question de la mémoire a l'école semble intéresser très fortement les députés puisque M. Georges Fenech, député UMP du Rhône, vient de poser une question au ministre de l'Education nationale où il s'inquiète que "les commémorations n'attirent que très peu de jeunes" et affirme qu'il "est de notre devoir de ne pas laisser les générations à venir ne voir que sous l'aspect des matières scolaires les conflits actuels et passés".
Ainsi donc, l'enseignement de l'histoire serait nuisible aux jeunes s'il n'était pas accompagné d'une communion émotionnelle autour de la mémoire des grandes guerres !!! Et de demander "l'organisation d'une journée annuelle nationale de la mémoire dans les établissements scolaires" en plus des multiples manifestations qui sont déjà proposées dans le cadre scolaire avec le soutien du ministère de l'Education nationale.
Les collègues apprécieront cette délicate marque de confiance envers leur travail ainsi recouvert de suspicion.
Commémorer la Guerre d'Algérie
Nous avions évoqué lors de la précédente chronique une demande des députés concernant la multiplication des journées commémoratives relatives à la Guerre d'Algérie.
En effet, le 5 décembre est déjà considéré comme la Journée nationale d'hommage aux "morts pour la France" pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie.
Par ailleurs, la loi du 28 février 2012 dispose que la mémoire de tous les morts pour la France soit honorée le 11 novembre.
Dès lors, le député Jacques Bompard s'interrogeait sur la proposition du groupe socialiste du Sénat d'officialiser le 19 mars 1962 comme date de la fin de la guerre d'Algérie et journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Depuis, cette proposition a été acceptée, validée par le Conseil constitutionnel et publiée au Journal officiel de la République française du 7 décembre 2012.
Dans sa réponse, le ministère des Anciens Combattants ne nie pas ce doublon, voire cette triplette, mais rappelle que "rien n'empêche en effet qu'un même événement ou une même population fasse l'objet de deux commémorations au cours d'une année" tout en renvoyant le législateur à ses responsabilités.
A bon entendeur...
Commémorer la Résistance
Mme Catherine Beaubatie, députée socialiste de Haute-Vienne, avait interpellé le 6 novembre 2012 le ministre délégué chargé des anciens combattants, sur le projet de création d'une journée nationale de la résistance :
"Certes, la date du 18 juin a été reconnue comme symbole de la résistance dans notre pays. Cependant, la date du 27 mai, celle de la création du Conseil national de la résistance en 1943, proposée par de nombreuses associations d'anciens combattants, serait également un symbole très fort de l'engagement des représentants d'une génération entière, qui ont accepté le sacrifice pour défendre la démocratie et la liberté. Cette date est parfois célébrée au niveau régional, notamment en Limousin, au niveau local et départemental".
Cette question n'est pas anodine et révèle avec force les enjeux de la construction mémorielle.
D'un côté, la France entretient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale une mémoire de la Résistance éminemment liée au destin du général De Gaulle présenté comme l'homme providentiel.
De l'autre, de nombreuses associations souhaiteraient justement minimiser cette personnification à outrance pour rappeler l'importance des mouvements très largement composés d'anonymes.
Par sa réponse, on comprend que le ministère a fait le choix de la tradition en rappelant que "par son appel symbolique lançant les bases « d'une flamme qui ne s'éteindra pas », le général de Gaulle a refusé la défaite et appelé à poursuivre le combat". Cependant, il est précisé que cette date symbolique liée au destin du général De Gaulle doit être l'occasion de rappeler aussi que "dès juin 1940 des Français ont refusé de se résigner à la défaite". Il s'agit donc de rendre hommage au général, tout en mentionnant l'engagement collectif du peuple français.
Au passage, il est annoncé que le 70e anniversaire de la création du CNR sera "un point fort de la célébration de la Résistance en 2013" et que le ministère des Anciens Combattants interviendra auprès du ministre de l'éducation nationale afin que le Conseil national de la Résistance "prenne toute sa place dans l'enseignement de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale".
Doit-on comprendre par cette phrase que le ministre entend intervenir dans le contenu des programmes ? Décidémment, il va bientôt falloir augmenter les horaires d'enseignement de l'histoire si chacune des revendications exprimées par les députés ce mois-ci sont exaucées.
Commémorer les morts des opérations extérieures (OPEX)
Des militaires français sont engagés dans ce que l’on appelle les Opex, les opérations extérieures. Il s’agit d’interventions des forces militaires françaises en dehors du territoire national. Elles se déroulent en collaboration avec les organisations internationales (l’ONU et l’OTAN) et les armées locales. Les opérations récentes en Afghanistan et au Mali rappellent que ces interventions font régulièrement des victimes parmi les troupes françaises.
Selon le député Jean-Michel Villaumé (Socialiste - Haute-Saône), "alors que les combattants tombés au combat lors des grandes guerres bénéficient dans chaque commune de notre pays de véritables lieux de mémoire, ces militaires tombés sur le front n'ont pas de tels lieux de commémoration".
Le ministère des Anciens Combattants lui oppose un démenti formel en rappelant que "les noms des « morts pour la France » au cours des opérations extérieures ont pu, dès l'origine, figurer sur ces monuments, à la suite des noms des victimes des précédents conflits du XXe siècle. La loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France rend désormais obligatoire l'inscription du nom de la personne militaire ou civile à qui a été attribuée la mention « mort pour la France », sur le monument aux morts de sa commune de naissance ou de dernière domiciliation ou encore sur une stèle placée dans l'environnement immédiat de ce monument. La demande d'inscription est adressée au maire de la commune choisie par la famille ou, à défaut, par les autorités militaires, les élus nationaux, les élus locaux, l'Offiice national des anciens combattants et victimes de guerre par l'intermédiaire de ses services départementaux, ou les associations d'anciens combattants et patriotiques ayant intérêt à agir".
Le ministère en profite également pour annoncer qu'il a "décidé de faire ériger un monument nominatif dédié aux morts en opérations extérieures. La Ville de Paris ayant donné son accord pour que le monument soit implanté à proximité de l'hôtel national des Invalides, place Vauban, une consultation a été lancée le 27 septembre 2012 pour aboutir au choix d'un projet pour lequel une dotation de 1 M€ est prévue dans le projet de loi de finances pour 2013".
Bref, encore un nouveau lieu de mémoire !
Une nouvelle loi mémorielle ?
C'est un marronnier de l'Assemblée nationale qui ressort cette fois-ci sous la plume des députés Valérie BOYER, Olivier AUDIBERT-TROIN, Marcel BONNOT, Charles de LA VERPILLIÈRE, Guy TEISSIER et Dominique TIAN.
Il s'agit cette fois-ci d'une proposition de loi visant à punir par une amende et/ou une peine de prison ceux "qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence dans les conditions visées par le sixième alinéa de l’article 24 en contestant, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence ou la qualification juridique d’un ou plusieurs génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre notoires dont la liste chronologique suit :
– Esclavage et traite ;
– Génocide arménien ;
– Crimes visés par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945.
Vaudra contestation, au sens du présent article, la négation, la banalisation grossière ou la minimisation desdits crimes, de même que l’usage de tout terme ou signe dépréciatif ou dubitatif pour les désigner, tel que “soi-disant”, “prétendu”, “hypothétique” ou “supposé”."
A titre d'exemple, si cette loi avait été en vigueur au moment où j'ai dirigé mon ouvrage sur la déportation pour motif d'homosexualité en France, je serais actuellement en prison avec mes collègues puisque nos travaux ont notamment permis de montrer que les allégations diffusées pendant plusieurs décennies concernant un soi-disant, prétendu, hypothétique et supposé (Bingo !) "homocauste" étaient tout à fait exagérées tant du point de vue des chiffres que du vocabulaire utilisé pour désigner ce qui demeure néanmoins une terrible opération de persécution des homosexuels européens.
Je m'interroge également sur l'utilisation de l'expression "banalisation grossière" censée tomber sous le coup de la loi. Ne peut-on pas considérer en effet que l'idée saugrenue de confier la mémoire d'enfants juifs à de jeunes écoliers constitue une forme de "banalisation grossière" du génocide des juifs d'Europe ? Dès lors, j'aurais peut-être eu un ancien président de la République comme compagnon de cellule...
Une reconnaissance mémorielle des Harkis
C'est la demande de Mme Luce Pane, député socialiste de Seine-Maritime, qui affirme "la nécessité pour la République de reconnaître les erreurs dramatiques commises envers les harkis et qui, aujourd'hui encore, impactent le devenir des 500 000 harkis et descendants de harkis présents en France".
Visiblement, le discours de François Hollande au Parlement algérien en décembre 2012 ne lui a pas suffit et elle souhaite une déclaration plus solennelle.
La réponse du ministre des Anciens Combattants n'est pas encore publiée.