A Koya, Japon, ce jardin photographié par ma fille : lieu de méditation, régulièrement ratissé à la main, le voici rhabillé de nuages bleuis par la lumière du jour. Des stèles dissemblables émergent avec leur douceur ferme, leçon de tranquillité d’âme, traces de l’esprit qui osera chanter, défaites de pas, forme d’écriture spirituelle donnée à voir. L’étonnement est saisi dans la glace déposée flocon après flocon ; le vide qui sépare les stèles nous salue, la rêverie s’y glisse sans toucher, elle dit : » Modestie, c’est moi ; douceur, c’est moi ; craindre quoi que ce soit serait insulter le paradis, ce jardin de la généralité la plus haute, où absence et présence se côtoient, affirme avec moi qu’il n’existe rien d’autre à viser que ce calme intérieur dont je suis l’offrande préparatoire. »
Entre l’art et la nature quelque chose s’immisce, fond d’humanité pensive, ce n’est pas encore un chant, je l’ai dit, c’est la condition du chant, le silence qui précède. Page blanche tombée des nues où l’esprit des stèles prépare au texte ; peindre le passage, c’est très beau, mais avant la peinture du passage, des esprits désencombrés ont posé les ombres, visant des lois, un ordre souple que notre œil contemple hors du temps.
Nous savons désormais, sans le savoir vraiment, nous sentons bien plutôt que les conditions sont réunies pour que là, sur notre terre, un chant ait droit de cité ; plonger son regard dans le jardin c’est voir en résumé tous les jardins du monde ; nous voici cependant avant eux et l’on effleure du bord des cils le hasard très construit où l’immortalité rêvée suspend son charme fluide.
On croit que nature et art sont séparés. Ce jardin nous persuade du contraire : qui écrivant, peignant, n’a jamais senti au moins une fois qu’il n’est plus ici, que la table sur laquelle il écrit, le chevalet contre lequel il peint, se dérobent et que le rêveur avance alors en une sorte de jardin qui ressemble étonnamment à celui-ci ? Sous la neige plus encore.
(Je songe un moment en une parenthèse lourde que le Japon est justement ce pays grièvement blessé, aspiré par la mer et les abysses qui le tirent vers leurs tréfonds et je frémis de ce modèle qui flotte là-bas, jardin d’Eden craquant peut-être un jour prochain, lui, ce parangon de stabilité apaisée s’engloutirait, lui, condition du chant un jour se ferait cri, ce n’est pas possible… mais que les dieux sont ironiques…)
Derrière le blanc, sous lui, ce sont toutes les couleurs assemblées, tassées, chuchotis qui pèse peu mais couvre implacablement. Ainsi mon visage quand j’écris ? Je croyais être à la douceur ; les rocs suggèrent une forme d’entêtement ; la douceur alors sera têtue lorsqu’elle posera ses stèles, car ce qui est doux, c’est de n’être plus là, cœur, bras, tout est oublié, tout est allé en ce jardin où je pousse mon texte, halluciné.