Cut up. À quoi ressemble la lecture de ce livre aussi surprenant et électrisant qu’un crochet à la tempe? À un tour de force fabuleux. Quel est son principe narratif? Raconter la vie d’Ali à travers des paroles rapportées, par la technique du cut up. Ainsi, sous nos yeux éberlués, plusieurs générations d’Américains prennent la parole: parents, proches, voisins, managers, adversaires, journalistes, agents, biographes, politiques, écrivains, etc. Autant de points de vue multipliés à l’infini qui dressent un portrait en creux et en relief d’un boxeur pas comme les autres et donnent à lire l’homme (disons plutôt le citoyen) en son ampleur. Ni un roman, ni une biographie, ni un récit, ni un verbatim, ni un exercice de style: tout à la fois. Et un petit rien de bien supérieur à tout cela, croyez-nous…
Exploit. Jusqu’à cette lecture impossible à stopper, instruit du sujet et attentif à tout ce qui l’entoure depuis deux décennies au moins, le bloc-noteur se plaisait souvent à rappeler que tout avait été dit et écrit sur le mythique Muhammad Ali. Comment faire mieux que Norman Mailer («Quand Ali apparaît, les femmes respiraient plus fort et les hommes se sentaient soudain déprimés»)? Mieux que Joyce Carol Oates? Mieux que Nick Tosches? Et comment venir après When We Were Kings (1996), exceptionnel documentaire racontant le «combat du siècle», à Kinshasa, en 1974? Frédéric Roux était évidemment taillé pour transformer ce handicap de départ en qualité absolue sur la ligne d’arrivée. L’auteur ne vise pas l’exploit : il l’accomplit.
Continent. Muhammad Ali prétend avoir «pris un nom qui a changé le monde». Les États-Uniens le savent: au-delà du destin et de la maladie, Ali reste un continent à lui tout seul. En boxant comme son maître, Frédéric Roux a accosté sur ce continent. Heureux homme. Son Alias Ali est bien plus qu’un document, bien plus qu’un simple roman. Pas vraiment un chef-d’œuvre classique. Encore que.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 février 2013.]