Nos sur-hommes politiques aux multiples casquettes et aux nuits courtes ont de beaux jours devant eux.
Le Parisien vient d’établir le palmarès des cumulards. Il n’est pas triste et constitue une véritable claque à la démocratie. A qui peut-on faire croire que le travail et les responsabilités que supposent ces charges sont accomplies avec compétence et discernement? Vaste blague.
« 476 députés sur 577, et 267 sénateurs sur 348 détiennent à la fois un mandat parlementaire et un mandat exécutif local, et sont ou président, vice-président de conseil régional ou général.
Chacun de ces mandats s’accompagne d’activités annexes ( parfois jusqu’à 30 activités par élu !).
Voici le classement des élus cumulards:
1- Philippe Duron, député PS du Calvados et maire de Caen, avec 28 titres ( 4 mandats et 24 fonctions).
2- Gérard Larcher, sénateur UMP des Yvelines et maire de Rambouillet, avec 22 titres ( 3 mandats et 19 fonctions).
3- André Santini, député UDI des Hauts-de-Seine et maire d’ Issy-les-Moulineaux, avec 20 titres ( 3 mandats et 17 fonctions).
4- François Rebsamen, sénateur PS de Côte d’Or et maire de Dijon, avec 18 titres ( 3 mandats et 15 fonctions).
5- Gérard Collomb, sénateur PS du Rhône et maire de Lyon, avec 15 titres ( 3 mandats et 12 fonctions).
6- Charles de Courson, député UDI de la Marne et vice-président du Conseil général de la Marne, avec 15 titres ( 4 mandats et 11 fonctions).
7- Jean-Claude Gaudin, sénateur UMP des Bouches-du-Rhône et maire de Marseille, avec 14 titres ( 3 mandats et 11 fonctions).
8- Hervé Planchenault, maire UMP de Montfort l’ Amaury et vice-président du Conseil général des Yvelines, avec 14 titres ( 2 mandats et 12 fonctions).
9- Roland Ries, sénateur PS du Bas-Rhin et maire de Strasbourg, avec 13 titres ( 3 mandats et 10 fonctions).
10- Christian Gaubert, maire PS de Lanton et vice-président du Conseil général de Gironde, avec 13 titres ( 3 mandats et 10 fonctions).
Le cas de Philippe Duron, champion du classement des élus cumulards, est emblématique. Philippe Duron est député et maire de Caen, est à la tête de l’agglomération Caen-la-Mer et de Caen Métropole, qui gère l’aménagement du territoire pour 143 communes. Il préside la Conférence de l’arc atlantique, censée promouvoir une trentaine de villes côtières en Europe, et le conseil d’administration de Normandie Aménagement, une société visant à soutenir des projets immobiliers. Il préside également le mémorial de la bataille de Normandie et administre le Comité pour l’organisation des manifestations touristiques et économiques de Caen. Il est aussi représentant de l’Association de la gestion de la fourrière et du refuge d’animaux de Verson (Calvados), vice-président de l’Union amicale des maires du Calvados et membre du bureau de l’Association des maires des grandes villes de France.
Seul Gérard Larcher publie toutes ses activités sur le site du Sénat, dans sa déclaration d’intérêts. »
Tout simplement hallucinant.
Et quoiqu’en disent les élus qui se drapent vite de la cape de la vertu, ces cumuls ne sont pas désintéressés.
Il est vrai que les élus cumulards n’additionnent pas leurs indemnités, plafonnées à hauteur de 8 272 euros mensuels pour les parlementaires depuis une loi de 1992.
Mais il ne tient qu’à l’élu de déclarer les indemnités liées à ses diverses fonctions, aucun contrôle n’étant effectué. René Dosière explique ainsi “Tout repose sur sa bonne foi. Il y a forcément des oublis, voire des abus“.
L’ élu dont les revenus sont plafonnés en reverse l’excédent à un ou plusieurs élus d’assemblées territoriales de son choix. Patrick Balkany, maire de Levallois a ainsi reversé son trop-plein à son épouse, la maire-adjointe Isabelle Balkany. C’est le principe du « reversement »: un élu local peut verser le surplus de ses indemnités à un autre élu local de son choix. La loi de 1992 n’est donc pas destinée à faire des économies à l’Etat, mais à mieux répartir la richesse entre élus. On est bien entre amis, on se croirait dans les conseils d’administration du CAC 40. Cela crée un véritable réseau d’influence et de connivences plus que malsain.
De plus, les élus cumulards peuvent toujours cumuler les avantages en nature dont ils bénéficient grâce à leurs fonctions (logement, voiture de fonction, secrétaires, etc.). »
Pour accomplir leurs multiples et diverses missions, les cumulards n’ont d’autres choix que de déléguer, ce qui bien entendu constitue un paradoxe énorme avec le cumul lui même et les avantages qui y sont affectés. « Je ne peux pas tout faire mais je cumule quand même ».
Les députés-maires s’entourent donc de nombreux collaborateurs qui effectuent le travail de fond à leur place. 5, 10, 20,… On a compté même 70 collaborateurs pour Jean Marc Ayraut lorsqu’il était député-maire de Nantes et président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale: une vingtaine de collaborateurs pour la gestion de la mairie, une dizaine pour la gestion de la communauté de commune « Nantes Métropole » et une quarantaine pour la politique nationale à Paris.
Les responsables politiques ne cumulent finalement qu’en théorie pour ce qui concerne l’accomplissement des tâches dont ils sont investis. Au final, la collectivité paye donc plusieurs fois pour la même tâche : le salaire du responsable politique, et les salaires des collaborateurs qui effectuent réellement le travail.
Pa ailleurs, pour se rendre compte de cette exception française, il est intéressant de comparer la situation dans les pays européens. C’est ce qu’a fait JolPress cette semaine.
« En Allemagne
L’Etat fédéral allemand compte 16 Länder dotés d’un gouvernement et d’un Parlement. Le cumul d’un mandat de député du Bundestag (Assemblée) et de membre du Bundesrat (Sénat) est interdit par l’article 2 du règlement du Bundesrat depuis 1966 et il est établit qu’un mandat auBundestag est incompatible avec la participation au gouvernement d’un Land. La plupart des constitutions des Länder interdisent aux membres du gouvernement du Land d’exercer une autre fonction publique ou un autre mandat public rémunéré, ou toute autre profession.
Le cumul d’un mandat de député avec celui de membre d’un conseil communal ou d’un conseil d’arrondissement est en revanche possible. En pratique, 22 % des membres du Bundestag ont un mandat dans un conseil municipal ou dans un conseil d’arrondissement. Mais le cumul d’un mandat de député est difficilement compatible avec la fonction de maire ou de chef de l’exécutif de l’arrondissement, même s’il n’est pas expressément prohibé.
En Belgique
Dans la Communauté française et la région wallonne, on compte deux niveaux de collectivités territoriales : la province et la commune. Or le mandat de membre d’un Parlement de communauté ou de région est incompatible avec celui de membre de la Chambre des représentants et celui de sénateur. En règle générale, le mandat de membre de la Chambre des représentants ou de sénateur ne peut être cumulé avec plus d’une fonction exécutive rémunérée.
Mais il existe un système de « double mandat » applicable à 21 sénateurs communautaires dont dix désignés par le Parlement de la Communauté flamande en son sein, dix désignés par le Parlement de la Communauté française en son sein et un désigné par le Parlement de laCommunauté germanophone.
En Espagne
L’Espagne est divisée en 17 communautés autonomes, 50 provinces et plus de 8100 communes. Ici, une différence entre députés et sénateurs : un député ne peut être membre de l’assemblée délibérante d’une communauté autonome alors qu’un sénateur peut cumuler les deux fonctions.
Quant aux mandats dans une collectivité territoriale, la Commission du Congreso de los diputados estime que « les fonctions locales ne sont pas incompatibles avec celles de député » et que les députés ne peuvent « exercer les fonctions locales à temps complet ni percevoir de rétribution à ce titre hormis des indemnités pour participation à des réunions des organes locaux ». Mais ces cas sont assez rares : seuls 20 % des députés ont un mandat local, et seuls 7 % sont maires.
En Italie
L’Italie compte 20 régions, 110 provinces et plus de 8092 communes. Dans ce pays, la proportion des députés et celle des sénateurs qui cumulent un mandat national avec au moins un mandat local est de 13 %. Cependant, personne ne peut être simultanément député ou sénateur et membre de l’assemblée délibérante d’une région (le président de l’exécutif régional fait aussi partie de cette assemblée).
Les présidents des organes exécutifs des provinces et les maires des communes de plus de 20 000 habitants sont déchus de leur fonction s’ils signent une déclaration de candidature aux élections à la Chambre des députés ou au Sénat
Au Pays-Bas
Les Pays-Bas comptent 12 provinces et 318 communes. Nul ne peut être simultanément membre de la Première chambre (Sénat) et membre de la Seconde chambre des États généraux (Assemblée). Mais le mandat de membre de l’une de ces deux chambres peut être cumulé avec celui de membre de l’assemblée délibérante d’une province ou d’une commune. Cependant, cette pratique est très peu répandue.
Au Portugal
Le Portugal est divisé en 308 « municipalités » qui comprennent elles-mêmes 4257 « paroisses ». Il a un Parlement monocaméral, « l’Assembleia da República », dont 80 des 230 membres sont titulaires de fonctions locales (35 %). Cependant, une fonction dans un organe exécutif d’une collectivité locale est incompatible avec une fonction dans l’exécutif d’une région autonome.
En Angleterre
L’Angleterre compte 103 collectivités territoriales. Exception anglaise : le Premier ministreest le chef du parti majoritaire à la Chambre des Communes. Il cumule sa fonction de chef de l’exécutif avec son mandat parlementaire. Les ministres, le plus souvent choisis parmi les parlementaires, cumulent également leur fonction ministérielle avec leur mandat à la Chambre des Communes.
Il n’existe pas non plus d’incompatibilité entre un mandat parlementaire et les fonctions de maire élu ou de conseiller de comté, de district ou de paroisse. Mais en Grande-Bretagne cette pratique ne concerne que 3% des élus nationaux »
Ces pays n’ont rien à envier à la France en ce qui concerne le fonctionnement démocratique d’un Etat.
Le fondement du cumul « On ne peut agir au niveau national que si on a une bonne connaissance du terrain » n’est que vaste fumisterie et un énorme frein à l’efficacité. Le rapport du Sénat de 2010, repaire de cumulards s’il en est, est dans ce sens parfaitement clair.
Servir ou se servir, pour certains le choix a le mérite d’être clair. Pendant de temps, ces messieurs dames vont nous serrer la ceinture davantage au nom des intérêts de la France. A d’autres.
En tout cas la révolution démocratique promise n’est pas pour demain, 2017 au mieux. On en reparlera.
Sources: Le Parisien – JolPress
A voir: Stop-Cumul.net
A lire: Vaste dossier en ce sens dans le Nouvel Obs