En 1815 à Whaligoë, deux adolescents du village s’embrassent secrètement sur le site sacré des Craighorns, pour matérialiser leur engagement l’un envers l’autre pour l’éternité. Douze ans plus tard, Sir Douglas Dogson, écrivain en panne d’inspiration entrevoit, dans le cimetière qui jouxte l’auberge, une jeune fille spectrale…
Scénario de Yann, dessin de Virginie Augustin, Public conseillé : Adulte et Adolescent
Style : conte fantastique et littéraire Paru chez Casterman, le 6 février 2013
De retour du Festival d’Angoulême 2013, je vous propose une forme différente de chroniques, plus courtes et enrichies par l’interview des auteurs.
Présentation de l’éditeur
En 1815 à Whaligoë, petite bourgade nichée au cœur de l’Écosse profonde, deux des adolescents du village bravent les interdits en s’embrassant secrètement sur le site sacré des Craighorns, conformément à un vieux rituel gaélique, pour matérialiser leur engagement l’un envers l’autre pour l’éternité. Douze ans plus tard, en chemin vers le nord, un écrivain en panne d’inspiration, Sir Douglas Dogson, et sa maîtresse toxicomane Speranza font halte par hasard à Whaligoë. Le couple bat de l’aile et Lord Douglas caresse l’idée du suicide lorsqu’il entrevoit, dans le cimetière qui jouxte l’auberge, une jeune fille spectrale qui s’allonge sur les tombes…
Ce que j’en pense
Pièce de théâtre du début du siècle, conte irlandais pétri de légendes gaéliques, farce macabre, étude de mœurs, enquête littéraire… Whaligoë, c’est tout ça à la fois.
Yann, expert en « voies de garage » et routes « casse-gueules » s’engage sur un terrain glissant (qu’on n’attendait pas) pour notre plus grand bonheur. Accompagné par le superbe dessin expressif de Virginie Augustin, il dépoussière un vieux synopsis de derrière les fagots et nous démontre, si cela était nécessaire, sa maitrise parfaite de la langue de Molière, façon Sacha Guitry. Avec des dialogues chantournés au style daté, il nous embarque dans une farce aux multiples branches et au plaisir constant.
Perdu ? On l’est tout de suite, ne sachant sur quel pied danser : Histoire « gothique » de fantôme ? (non, la couverture ne donne pas le ton), affrontement entre paysans et aristocrates ? Ballade irlandaise ? Il faut accepter de s’abandonner à ce délicieux ovni « daté » et un peu ampoulé.
Du drame à la comédie, Yann explore l’âme humaine et les sentiments d’amour et de haine. Bouseux rustres et brutaux, poète aristocrate sur le déclin, tous ses personnages sont violents envers eux-mêmes et leurs contemporains. Par habitude, par jeux, par perversité, ils font tous partie d’une danse macabre qui se terminera dans le sang, c’est certain !
Côté dessin, la collaboration Virginie Augustin / Yann est une belle réussite. Laissant de côté ses expressions graphiques précédentes (« Alim le Taneur », « Voyages aux Ombres »), elle met en image avec brio cette farce macabre. Véritablement habitée par son sujet, Virginie s’en donne à cœur joie. Découpage fluide, encrage semi-réaliste nerveux et expressif, ambiances colorées immersives, décors précis… En quarante-huit pages seulement, Virginie nous balade dans des lieux et des ambiances extrêmement variées. Que du bonheur !
Pas de doute. Ce premier tome de Whaligoë est un ovni incontournable. Thèmes multiples, changement de tons, langage châtié, dessin subtil. Yann et Augustin nous offrent un plaisir de lecture intense, en attendant fébrilement le dénouement à venir (inattendu certainement).
L’interview
C’est une belle découverte, mais étonnante. C’est un registre différent, une démonstration d’un savoir-faire ?
Y. Oui
C’est tout ?
Y. La question est tellement longue et vaste… C’est une bonne analyse.
Vous pouvez résumer la thématique ?
Y. C’est une fable du dandy des villes conte le dandy des champs. une fable de la fontaine. Un prétexte pour faire une collaboration avec Virginie.
C’est un vieux machin que j’avais dans un tiroir, qui datait de 20 ans. J’ai soufflé sur la poussière et je l’ai proposé à Virginie. On va bien voir si on peut se supporter durant 2 albums.
C’est un vieux truc, déjà écrit ?
Y. Je n’écris jamais totalement une histoire. Sinon, elle est figée. Ce n’est pas intéressant. Je fais un synopsis, assez court. C’est fait pour séduire un dessinateur.
V. Un peu un l’éditeur, aussi ?
Y. Non, on s’en fout !
Toi, Virginie, tu as été séduite ?
V. Oui. Il y avait pour moi l’envie de fuir l’Héroic Fantasy. Le fait de travailler avec Yann, Bien sur et ce qui était raconté. La thématique, l’endroit, l’époque. Tout ça trainait au fond de mes envies.
J’ai trouvé un coté très « théâtral » ?
Y. Oui, ce n’est pas une écriture de BD traditionnel. C’est du Sacha Guitry, du dialogue avec des beaux dessins. Ce qui permet soit de regarder les beaux dessins, soit d’écouter les dialogues écrits à l’ancienne. C’est une farce, une fable, d’où des passages humoristiques pour bien montrer que ce n’est pas pédant.
Ce n’est pas casse-gueule ?
Y. Si, mais c’est pour ça que c’est bien. Il faut toujours faire du casse gueule. Depuis trente ans que je fais de la BD, j’ai toujours pris ce risque. il faut faire ce que les éditeurs ne pensent pas être bons. C’est refusé ! …et un jour on amène un projet.
L’histoire pour moi existait, mais elle attendait que je la découpe suivant le dessinateur. Avec Juillard et Zep, j’aurais fait des histoires totalement différentes avec le même synopsis.
Avec Virginie, on a discuté de film. On est arrivé aux même imaginaire de films romantiques, gothiques.
Quels sont-ils ?
V. « Le portrait de Dorian Gray ».
V. Les vieux « Sherlock Holmes ».
C’est une idée très dépassée ?
Y. Mais non, rien n’est dépassé. Ce qui est dédicacé actuellement, c’est déjà dépassé.
V. Je trouve que c’est dépassé, moi
Y. On rajeunit en permanence tout. On peut faire un tabac avec Ulysse.
Dépassé, ça ne veut pas dire « qui ne trouvera pas son public ».
Y. Justifiez-vous !
V. C’est un truc très intéressant au cinéma. Il y a les films vieux et les films datés. C’est très différent. Vieux, c’est foutu, in-regardable. Daté, il reste quelque chose.
Il y a d’autres films qui ont cimentés votre collaboration ?
V. « Massacre à la tronçonneuse ». On en a pas parlé , mais on s’est retrouvé sur certaines scènes.
Il y a des styles très différents ?
Y. Il faut de la comédie, du drame. Il ne faut pas se limiter à un registre. Les meilleurs films du monde sont ceux qui osent tout mélanger. C’est des codes de vieux cons, des règles de petits profs.
L’histoire de fantôme, c’est juste quelques pages et on oublie ?
V. C’est une touche. Comme l’écosse. L’information rentre, et on se base dessus pour raconter l’histoire.
Y. C’est un gros album qui a été séparé en deux de manière éditoriale. Il faudra lire l’ensemble pour comprendre le préambule.
La couverture, elle est focalisé sur l’histoire de Fantôme…
Y. C’est ça qui se vend !
Mais dans ce premier tome, vous ne racontez pas cela.
V. Y’a un truc qui me fait rigoler. C’est une scène qui est dans l’album. C’est un pivot !
Y. D’autant que dans le second tome, elle est répétitive…
V. C’est pas tout faux. Il peut y avoir méprise, erreur, si on la prend de but en blanc.
Y. Oui, on joue sur l’attente.
Comme dans une affiche de film, tu es censé donné la thématique.
V. Moi, une de mes affiches de film préférée, c’est « Barry Lyndon ». Je ne sais pas si vous voyez l’affiche ? Deux bottes sur un fond blanc qui écrasent une rose.
V. Les conteurs avant avaient des artifices. On vend quelque chose. On suscite un intérêt. C’est de la technique.
V. On a pas la recette de la bonne couverture. On essaie des choses.
L’album commence par une scène violente…
Y. On a vu pire chez Tarantino.
Le mélange des genres m’étonne.
Y. C’est ce qu’il faut : être déstabilisé !
V. On présente un endroit assez dur. Avec des gens qui ont des métiers très physiques. Dans ces cas là, la violence sert juste à se réchauffer.
Y. L’idée de départ, c’est de montrer des bouseux agressifs au premier degré. Puis, au second degré, des gens agressifs dans leur propos, qui en sont pas moins dangereux.
Ton dessin a beaucoup évolué, Virginie. Tu te sent plus à l’aise dans ce dessin avec un encrage fort, très expressif ?
V. Quand je lis un scénario, je commence à me projeter. Sur Whaligoë, j’avais une autre idée de traitement que je n’ai pas pu réaliser. Je cherche toujours à trouver une technique en adéquation avec le récit. Sur « Alim le Taneur », c’était aérien, sans encrage. L’important, c’était les couleurs. Sur « Voyages aux ombres », il a fallut épaissir, noircir. Là, on est entre les deux. La couleur a son importance.
Tu poses de vraies ambiances.
V. Oui. Ce que j’aime bien, c’est sentir le temps, les lumières.
Tu te rapproche d’un « Bodard », d’un « Conrad » ?
V. La filiation existe. J’ai regardé leur dessin. ça me donne des pistes. J’ai besoin de références, sur un point de vue « technique ». Comment empâter le trait pour mettre plus d’expression ? Comment dessiner le nez ? C’est toutes ces choses là que je regarde. Je suis une éponge. Je n’ai pas de style précis. Je cherche mon style, en espérant qu’un jour je le trouverais…
Un grand merci à Yann et Virginie pour leur patience.